Aujourd’hui, l’Ă©criture est sĂ»rement pour moi le meilleur moyen de partager ce que j’ai sur le cĆur…
Justine ùgée de 6 mois © Justine
En ce qui concerne mes origines, je sais quâĂ ma naissance, ma mĂšre me dĂ©posa dans une « casa de copii », une maison d’enfants (qu’on assimile Ă un orphelinat), mais elle ne signa mes papiers dâabandon que 3 mois et demi plus tard. Parmi les raisons qui l’ont amenĂ©e Ă signer cet acte, je suppose que ma mĂšre biologique ne pouvait pas s’occuper de moi faute de moyens financiers et matĂ©riels. Mon pĂšre, quant Ă lui, ne voulait peut-ĂȘtre pas me reconnaĂźtre.
Aujourd’hui, mĂȘme si je ne me souviens de rien, c’est comme si je ressentais encore ce que j’ai Ă©prouvĂ© Ă l’Ă©poque : un dĂ©chirement, une partie de moi-mĂȘme qui s’envole Ă tout jamais, un vide dans mon cĆur que rien d’autre ne peut combler.
Atteinte d’une pneumonie et d’un cytomĂ©galovirus, j’ai dĂ» me battre, dĂ©jĂ toute petite, pour survivre. Le cytomĂ©galovirus est un virus qui se transmet Ă lâaccouchement. TrĂšs dangereux pour les bĂ©bĂ©s et pour les femmes enceintes, ce virus sâattaque Ă une partie de lâorganisme (chez moi, ça a Ă©tĂ© les yeux). Les symptĂŽmes souvent prĂ©sents sont un systĂšme immunitaire faible ou encore des infections aux poumons (ce qui pourrait expliquer ma pneumonie au mĂȘme moment). J’Ă©tais trĂšs affaiblie par ce virus, mais grĂące aux soins qui m’ont Ă©tĂ© prodiguĂ©s, j’ai pu guĂ©rir.
Cependant, je pense que ce qui m’a fait tenir Ă ce moment-lĂ , c’est l’espoir qu’on vienne me chercher, que je trouve des parents adoptifs, et ce jour est arrivĂ© ! On dit qu’un bĂ©bĂ© ne se rend compte de rien, mais c’est faux ! Tout est ancrĂ© en moi depuis le dĂ©but.
Justine convalescente mais heureuse, dans les bras de sa mĂšre, Ă 4 mois, sortant Ă peine de l’hĂŽpital © Justine
A lâĂąge de 4 mois, j’ai Ă©tĂ© adoptĂ©e par un couple Belge : mes parents actuels, qui seront mes parents Ă vie et que j’aime plus que tout au monde ! GrĂące Ă eux et Ă la dĂ©cision de ma mĂšre biologique, je n’ai manquĂ© de rien, j’ai toujours bien vĂ©cu et je suis entourĂ©e d’amour, d’un frĂšre gĂ©nial, d’une famille… Que demander de plus quand un jour on a Ă©tĂ© orpheline ?
Pourtant, mon seul dĂ©sir Ă l’heure actuelle serait de retrouver un jour ma maman biologique pour pouvoir rĂ©pondre Ă toutes ces questions qui me hantent, et aussi pour combler cet immense vide au fond de mon cĆur…
Je mâappelle Justine, mais mon nom dâorigine est Paula, je suis nĂ©e Ă Bucarest (district 5) et j’ai Ă©tĂ© adoptĂ©e en Roumanie. Jâai 21 ans et je suis Ă©tudiante en psychologie.
Donner son lieu de naissance en se prĂ©sentant, cela peut paraĂźtre banal, mais cela ne l’est pas pour une personne mal Ă l’aise avec son histoire et avec ses origines. CâĂ©tait mon cas il y a encore un an ou deux.
Je suis au courant de mon adoption depuis toujours, pourtant, malgrĂ© cela, ça nâa pas Ă©tĂ© simple Ă vivre. Quand jâĂ©tais petite, du peu dont je me souvienne, je ne me posais pas trop de questions. Je vivais et profitais.
Puis, en grandissant, j’ai Ă©prouvĂ© des difficultĂ©s Ă accepter mon histoire et mes origines. Pendant des annĂ©es, jâai gardĂ© ça pour moi, le cachant Ă mon entourage et mĂȘme Ă mes amis. Cette adoption nâexistait pas, je refoulais tout de cette Ă©poque, et donc, je ne mâacceptais pas.
Ce dĂ©ni a dĂ©butĂ© lors de mon adolescence, quand je suis rentrĂ©e au collĂšge. JâextĂ©riorisais beaucoup, jâavais toujours besoin dâattirer lâattention sur moi, car jâavais lâimpression dâĂȘtre en retrait. J’avais le sentiment d’ĂȘtre effacĂ©e par rapport aux autres, et de passer pour quelquâun que je nâĂ©tais pas. Câest un peu Ă double tranchant : dâun cĂŽtĂ©, je me sentais bien, car nier tout cela me protĂ©geait Ă©motionnellement parlant, et Ă lâĂ©poque jâen avais besoin. Mais d’un autre cĂŽtĂ©, je ne me sentais pas totalement moi-mĂȘme et je me sentais diffĂ©rente des autres.
Le jour oĂč jâai pris mon courage Ă deux mains en me disant que je devais y faire face et que je lâai annoncĂ© Ă mes amis : ma plus grande crainte a Ă©tĂ© quâils me rejettent et quâils ne comprennent pas mon choix de mâĂȘtre tue lĂ -dessus durant des annĂ©es.
Il y a deux ans, jâai commencĂ© tout doucement Ă mâintĂ©resser Ă mon histoire, Ă me poser des questions, et Ă le dire Ă deux ou trois personnes proches sans pour autant lâaccepter complĂštement. Mes Ă©tudes de psychologie mâont aidĂ©e Ă y voir plus clair, jâai appris Ă©normĂ©ment et ça mâa Ă©tĂ© bĂ©nĂ©fique, mais je pense que le plus gros « dĂ©clic » sâest produit il y a un an lors du dĂ©cĂšs de ma grand-mĂšre maternelle. Câest dans les pires moments que lâon se rend compte des choses importantes. Je me suis dit : « tout le monde part un jour ». Jâai alors rĂ©alisĂ© que si je tardais trop Ă rechercher les rĂ©ponses Ă mes questions, je ne les aurai jamais.
Et puis, quand ma grand-mĂšre est partie, aprĂšs ce choc Ă©motionnel, je me suis sentie horriblement seule. Câest comme si, encore une fois, je revivais un abandon. Il fallait que jâessaie de rĂ©soudre cela et que je me confronte Ă mon histoire. Je ne sais pas comment expliquer ce dĂ©clic… « câest mon inconscient » comme dirait Freud !
Depuis ce jour, tous mes amis et mon entourage sont au courant de mon histoire. Je me rappelle de certaines rĂ©actions de mes amis le jour oĂč je leur ai annoncĂ©. Ils m’ont dit : « Oh ! je le savais, tu as des yeux verts comme certaines personnes vivant en Europe de lâEstââ, ou encore ââHa ! CâĂ©tait donc ça, cette petite chose en plus ? JâĂ©tais certaine que tu avais des racines latines »… Ăa mâa fait un bien fou ! Car enfin je me suis sentie moi-mĂȘme, je ne prĂ©tendais plus ĂȘtre quelquâun dâautre.
GrĂące Ă mon expĂ©rience personnelle, je me suis rendue compte que renier ses origines nâaide ni Ă avancer, ni Ă avoir confiance en soi.
Justine en 2015 © Justine
Depuis que j’ai acceptĂ© mon histoire et mes origines, je ne me suis jamais sentie aussi bien. Je nâaurais pas dĂ» avoir peur de me montrer telle que je suis et encore moins avoir honte. Je me rends compte que le fait dâavoir une histoire diffĂ©rente de celle des autres m’a enrichi et m’a donnĂ© une force incroyable, que certains nâauront peut-ĂȘtre jamais !
Et puis, si le passĂ© nâexistait pas, il nây aurait pas non plus de futur !
Justine et son frÚre © Justine
Je vous disais que jâavais un frĂšre, nous sommes fort liĂ©s, et nous sommes tous les deux des adoptĂ©s roumains. Cependant, nous avons beau avoir Ă©normĂ©ment de points communs, notre rapport Ă nos origines et Ă Â notre adoption diffĂšre. Mon frĂšre et moi vivons et ressentons des choses diffĂ©rentes et nous nâavons pas vĂ©cu l’histoire de notre adoption de la mĂȘme façon. Ce n’est pas parce qu’on est adoptĂ©, comme beaucoup de personnes le sont, que nous le vivons tous de la mĂȘme façon, et cela, mĂȘme dans le cas d’une fratrie Ă©levĂ©e au sein d’une mĂȘme famille.
En tout cas, je ne regrette rien de mon parcours ! Toute expĂ©rience est bonne Ă prendre, et puis parfois le temps est la meilleure des solutions. Je pense que le seul conseil que je puisse vous donner Ă lâheure actuelle, câest de ne rien prĂ©cipiter ! Le jour oĂč vous serez prĂȘts Ă accepter votre histoire et Ă la
partager avec dâautres, et Ă vous accepter tel que vous ĂȘtes, ça viendra tout seul.
Ăcoutez votre cĆur, vos sensations et vos sentiments. Votre esprit et votre corps parleront dâeux-mĂȘmes. Cependant, nâoubliez jamais au fond de vous-mĂȘme qui vous ĂȘtes et dâoĂč vous venez ! Nâayez pas honte de vos origines, elles font votre richesse !
Et pour reprendre l’esprit de la cĂ©lĂšbre citation de Jean JaurĂšs, je conclurai :
Il ne faut avoir aucun regret pour le passé,
aucun remords pour le présent et avoir
une confiance incroyable pour lâavenir !
Croyez en vous et en votre histoire !
Justine