“Sur les chemins de la bohème”

C’est en juin 1991 que j’arrive dans la campagne du Sud-Ouest. AdoptĂ© par un couple de trentenaire disposant d’une situation plus que confortable, il Ă©tait Ă©vident que j’avais toutes les cartes en mains pour rĂ©ussir… J’Ă©tais chanceux me disaient-on ! Je n’ai jamais compris en quoi avoir Ă©tĂ© abandonnĂ© Ă©tait une chance. Ce sentiment de redevabilitĂ© Ă©tait bien trop lourd pour mes frĂŞles Ă©paules. Mes parents ne m’ont jamais cachĂ© mon adoption, mĂŞme si je n’ai rĂ©ellement compris de quoi il s’agissait vraiment que vers ma douzième annĂ©e.
La vraie dĂ©couverte Ă©tait digne d’un coup de poignard, aussi rapide qu’inattendue! Au fond de la bibliothèque se trouvait le dossier d’adoption, trouvĂ© par pur hasard! Enfin je rĂ©alisais ce qu’Ă©tait l’adoption avec ses richesses et surtout ses faiblesses. Je pouvais enfin mettre un prĂ©nom puis un nom sur ma gĂ©nitrice. Ce jour-lĂ  Ă©tait rempli d’ambivalence, heureux et malheureux Ă  la fois… A compter de ce moment, rien ne s’est plus passĂ© comme l’avaient prĂ©vus mes parents. Avant j’Ă©tais le petit garçon parfait, poli, souriant, serviable, type premier de la classe. Ensuite le mensonge est rentrĂ© dans ma vie, je mentais Ă  tout le monde, sur n’importe quoi, des futilitĂ©s comme des choses plus sĂ©rieuses. Les rapports avec mes parents Ă©taient devenus exĂ©crables, nous Ă©tions en conflit permanent. Me sentant dans une insĂ©curitĂ© permanente, j’ai ce souvenir que ma mère ne remplissait plus son rĂ´le, et j’avais cette envie que mon père meurt. Les policiers Ă©taient rĂ©gulièrement appelĂ©s par ma mère qui ne me gĂ©rait plus et avait peur de moi, de mon comportement, et de mes gestes ! Très tĂ´t je me suis mis en danger, j’aimais ça! Sans le savoir je donnais le ton de ma vie future. Ce n’est qu’en me mettant dans des situations pĂ©rilleuses, en jouant avec ma vie, que cette dernière prenait toute sa valeur!
Ma première prise de drogue a Ă©tĂ© cruciale, j’ai malheureusement ressenti un bien ĂŞtre effroyable. Je suis devenu toxicomane sans m’en rendre vraiment compte. Rapidement l’herbe ne me suffisait plus, il me fallait des substituts encore plus forts, le but Ă©tait de me retourner le cerveau. Tous les moyens sont bons pour ça. Tel un « aspirateur dyson », je sniffais, ce qui s’ajoutait Ă  ma fumette permanente. Dans les moments de dĂ©fonce extrĂŞme, mon cerveau n’en Ă©tait plus, ouf ! Cela m’aurait ouvert des plaies Ă  vif, fait vivre des situations extrĂŞmement dangereuses. Par je ne sais quel prĂ©sage, un ange gardien m’a Ă©pargnĂ© de la mort bien des fois.
Le deuxième abandon eut lieu au mois d’octobre 2005. Mes parents venaient d’apprendre mon homosexualitĂ©. Aussi rapide qu’une guillotine Ă  l’action, la dĂ©cision tomba: il fallait que je parte de mon foyer Ă  cause de cette sexualitĂ©! Le premier mois en tant qu’ SDF a Ă©tĂ© très Ă©prouvant. N’assumant pas ce statut, mes mensonges allaient de plus belles et me menaient droit Ă  ma perte. A la rue, j’ai passĂ© des heures Ă  rĂ©flĂ©chir au moyen d’avoir de l’argent sans faire la manche, puis, je regardais les passants, et m’imaginais leur vie, je me posais la question du bonheur: Ă©taient-ils heureux ou malheureux ? Quelle Ă©tait leur vie ? SĂ»rement pas la mĂŞme que la mienne. J’en Ă©tais venu Ă  traquer la moindre fin de sandwiches, tellement la faim c’Ă©tait emparĂ©e de mon corps. La prostitution arriva Ă  moi un soir de faim extrĂŞme, le premier client m’aborda. Cette première passe fut un viol consenti, ni plus, ni moins! Je me sentais sale, j’Ă©tais dĂ©goĂ»tĂ©… J’avais laissĂ© cet homme abuser de mon corps et de mon esprit pour la pauvre somme de dix euros! Une rĂ©elle dichotomie s’installa, je m’Ă©cĹ“urais vraiment, mais j’aimais ça. Puis c’Ă©tait un moyen rapide d’avoir de l’argent! Au bout d’un mois Ă  la rue, je rencontrais Cindy et sa joyeuse bande. Tous SDF mais tous heureux ! Cyndi avait 43 ans, les traits d’une femme usĂ©e par la vie ne pouvaient que sauter aux yeux. Ce petit bout de femme a Ă©tĂ© et restera ma maman de cĹ“ur. Elle refusait que je fasse la manche ou que je tapine. Je voulais une sorte d’indĂ©pendance financière, alors je continuais Ă  effectuer des passes! Il fallait que je sauve mon honneur, il fallait que je leur montre que je pouvais aussi contribuer au bien-ĂŞtre du groupe. Les abords de la gare Matabiau et ceux du Ramier n’ont plus la mĂŞme saveur, Cindy est dĂ©cĂ©dĂ©e en 2013. Ce fut dans la rue que je rencontrais mon premier amour, un beau brun au regard charmeur. Notre histoire s’est dessinĂ©e lentement, malgrĂ© mon coup de foudre Ă©vident pour lui. Ce n’est que huit mois plus tard qu’il me proposa d’emmĂ©nager avec lui. Mon bonheur Ă©tait immense, je sortais de la rue et j’Ă©tais amoureux. Ces trois ans de relation m’ont permis de me ranger comme on dit. La rupture fut un choc, je l’ai vĂ©cu comme un nouvel abandon, qui avec le recul m’aura cependant fait avancĂ©.
Lors de mes 18 ans, j’ai portĂ© plainte contre mes parents. Pendant le procès j’ai pu croiser leurs regards remplis de haine. Une haine indescriptible, leur fils modèle Ă©tait dĂ©jĂ  devenu un adulte, usĂ© par la vie, aux antipodes de leur projet initial. Malheureusement ils n’ont jamais bĂ©nĂ©ficiĂ© de rĂ©elles prĂ©parations quant Ă  l’adoption, mais Ils n’ont cependant pas cherchĂ© Ă  s’informer, se former, Ă  prendre conseils auprès des spĂ©cialistes face Ă  mes comportements. J’ai cette impression, que certains parents veulent adopter pour Ă©voluer avec l’enfant et le rendre heureux, d’autres adoptent uniquement pour leur ego, pour se normaliser.
Le deuxième cas, bien que raccourcis fut celui de mes parents. Ils n’étaient pas prĂ©parĂ©s pour affronter les tempĂŞtes d’un enfant abandonnĂ©, pas motivĂ©s non plus, trop bornĂ©s pour essayer de comprendre, obnubilĂ©s par l’image qu’ils vĂ©hiculaient, et obsĂ©dĂ©s par ce secret qui n’aurait jamais dĂ» ĂŞtre divulguĂ©, ils ont prĂ©fĂ©rĂ© jeter l’Ă©ponge, Homosexuel, dĂ©scolarisĂ©, SDF, je leur en ai longtemps voulu. Aujourd’hui nous avons des rapports presque normaux, il nous aura fallu 10 annĂ©es supplĂ©mentaires après le procès.
En 2015, 10 ans après ma plongĂ©e en enfer, me revoilĂ  SDF. Une suite de mauvaises dĂ©cisions me ramena Ă  ce point de dĂ©part. Loyers impayĂ©s suite Ă  une consommation de drogue excessive essentiellement. Cette fois-ci j’apprĂ©hendais les choses diffĂ©remment, cette fois ci c’Ă©taient mes choix qui m’avaient rĂ©-emmener lĂ . Personne n’Ă©tait fautif mis Ă  part moi et mes excès. MalgrĂ© mon statut de SDF les personnes que je rencontrais ne devaient rien savoir de ma vie, de la dĂ©chĂ©ance qu’elle reprĂ©sentait. J’ai alors rencontrĂ© LĂ©o, le beau LĂ©o, qui vivait impasse de Maupassant. Il n’y avait pas de hasard, parmi les auteurs que j’adulais, se trouvait Maupassant. Avec LĂ©o les rĂ©flexes Ă©taient les mĂŞmes qu’avec les autres, je lui cachais tout, bien pire, je mentais, je me suis rĂ©approprier cette vie qu’Ă©tait mienne, au temps prĂ©sent, me voilĂ  cette fois ci avec ce « fake » de statut de voltigeur Ă©questre, ma grande passion, ma soi-disant honnĂŞtetĂ© et mon bagou sur-dĂ©veloppĂ©. J’ai toujours du mal Ă  Ă©voquer cette pĂ©riode. J’Ă©tais pris dans un engrenage, Ă  l’aube d’une histoire qui aurait Ă©tĂ© magnifique sans ces mensonges. J’alternais entre les nuits froides et infinies Ă  chasser le fruit dĂ©fendu, ayant pour seul exutoire la drogue. Puis ma vie de couple, en permanence dans le mensonge, mais merveilleuse en apparence, basĂ©e sur des fondations en carton. Quant Ă  l’amour que j’Ă©prouvais pour lui, il Ă©tait rĂ©el, sincère, le genre de truc qui te prends aux tripes, en aucun cas je ne mentais. Sa peau me manque, sa voix, son regard plein d’amour me manquent. C’est grâce Ă  lui que j’ai pu rĂ©flĂ©chir aux raisons qui me menaient droit Ă  ma perte. L’adoption faisait Ă©videmment partie de ces multiples sujets de rĂ©flexion, sans y avoir trop d’importance. La relation avec LĂ©o s’arrĂŞta brusquement au bout de neuf mois de bonheur. La vĂ©ritĂ© avait retenti comme un couperet. LĂ©o me quitta. Je ne saurai dire ce qui Ă©tait le pire: le fait qu’il me quitta alors qu’il aurait acceptĂ© cette situation de SDF prostituĂ© (m’avait-il dit en sanglot accompagnĂ© de son regard noir qui exprimait la haine et le dĂ©goĂ»t), ou le fait que je devais Ă  nouveau tout recommencer. Ma vie Ă©tait un Ă©ternel recommencement, rien ne durait, soit je fuyais soit on me fuyait… l’histoire de ma vie!
Un jeudi soir, comme Ă  mon habitude je tapinais au Ramier Ă  Toulouse. DĂ©vastĂ© par la rupture trop rĂ©cente, je me traĂ®nais, ballottant d’un cĂ´tĂ©, de l’autre, Ă  l’aide des arbres qui ornaient le chemin. Trop dĂ©foncĂ© pour savoir ce que je faisais et me mettre en sĂ©curitĂ©, j’errai. plus que je tapinais.. Le bel Adrian apparu comme une hallucination. Il m’a alors Ă©paulĂ© jusqu’au premier banc et a attendu Ă  mes cĂ´tĂ©s que la drogue redescende, toujours avec bienveillance. La première phrase qu’il a prononcĂ© dont je me rappelle est « T’es un des miens! T’es un rom !” Quel choc! C’Ă©tait la première fois que j’Ă©tais confrontĂ© Ă  cette situation. En principe les personnes pensaient que j’Ă©tais Tunisien ou Marocain, et j’aimais cette idĂ©e, mais c’Ă©tait la première fois qu’on me reconnaissait en tant que rom! Cette phrase Ă  dĂ©clencher beaucoup de choses, TROP de choses. La façon qu’il avait de parler de ce peuple tzigane Ă©tait si belle, si touchante. Pour la première fois j’en percevais son aspect positif, Ă©mouvant, et attachant, le tout accompagnĂ© de musique tzigane, guitare ou violon qu’Adrian jouait Ă  merveille, guitare et violon. Cette rencontre a dĂ©clenchĂ© bien des choses photo: la perception que j’avais Ă©tait devenue positive, j’ai commencĂ© Ă  me documenter et dĂ©couvrir. J’ai dĂ©cidĂ© ensuite d’entamer des recherches sur Claudia, ma gĂ©nitrice. Après avoir jetĂ© une bouteille Ă  la mer concernant la quĂŞte de mes origines. J’ai contactĂ© l’AFOR (Association Française des Orphelins de Roumanie) et Marion Le Roy Dagen (« l’enfant du diable »le film – « l’enfant et le dictateur »le livre). Suite au premier rendez-vous, Marion m’aide Ă  dans mes recherches. De mon cĂ´tĂ©, pendant ce temps, les choses Ă©voluaient aussi, la famille et les amis de mes parents acceptaient de m’aider dans cette quĂŞte. Les choses que j’apprenais n’Ă©taient pas jolies. Ce que je sais Ă  ce jour est loin d’ĂŞtre idĂ©al, j’ai Ă©tĂ© vendu Ă  mes parents, comme un vulgaire objet d’occasion. Ma gĂ©nitrice ferait partie ou serait victime d’une Mafia roumaine, rom exactement! Sans rentrer dans la futilitĂ© des dĂ©tails, je peux vous affirmer que cette nouvelle a eu l’effet d’une bombe! J’explosais pour mieux me reconstruire.
Enfin, je touchais du doigt les raisons qui justifiaient le comportement de mes parents, et, le miens du coup. Cette fois ci je personnifie ma mère, c’est une femme avec deux bras, deux jambes, brune. Cette fois ci je me sentais lĂ©ger, un poids immense avait Ă©tĂ© hottĂ©e de mes Ă©paules. J’avais Ă  prĂ©sent toutes les cartes en main pour expliquer, ma vie, mon comportement, mes rĂ©actions…les dĂ©gâts que peut provoquer un abandon. J’ai Ă©videmment bĂ©nĂ©ficiĂ© d’aide, de la part de Marion (je te remercie pour tout par ailleurs), et de Julie ma psychologue sans qui j’aurai surement sombrĂ©.
J’ai Ă©galement rĂ©alisĂ© que malgrĂ© la drogue et la prostitution, il y avait beaucoup de similitudes entre ma vie et celle que menaient les roms. Je vis dans mon vieux camping-car et voyage au grès du vent. Je ne pourrai plus ĂŞtre sĂ©dentaire! Je pratique les arts du cirque Ă  un niveau professionnel et suis Ă©galement violoniste amateur.
Une vraie vie de bohème,
sĂ»rement comme mes ancĂŞtres. Beaucoup diraient que ces trucs lĂ  c’est dans le sang, il m’aura fallu du temps pour me sentir libre de toutes contraintes, Ă©quilibrer et assumer ma vie. Evidemment certaines choses sont ineffaçables, mais on apprend Ă  vivre avec, n’est-ce pas ça la vie de bohème? Vivre au jour le jour, se contenter de peu, et vivre de son art?
Ce tĂ©moignage n’a aucun but, si ce n’est de me mettre Ă  nu, c’est un travail sommaire et Ă©goĂŻste. C’est un exutoire mesurĂ©, ou certaines bribes de ma vie ont Ă©tĂ© supprimĂ©es volontairement, d’autres très peu dĂ©veloppĂ©es. Je serai un Ă©ternel amoureux de l’humain, et serai surement toujours un peu en marge de cette sociĂ©tĂ© qu’est la nĂ´tre. Pour dĂ©voiler et traduire l’intĂ©gralitĂ© de ma vie il faudrait surement des centaines de pages qui s’avĂ©reraient bien ennuyantes. Evidemment toutes les adoptions ne se passent pas ainsi, bien heureusement! Chacun exprime ses failles et sa sensibilitĂ© diffĂ©remment. Je remercie le beau LĂ©o, c’est grâce Ă  lui que j’ai pu avancer.
Au plaisir de vous lire et d’Ă©changer, IsmaĂ«l
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