Alina Cicani est rĂ©alisatrice du documentaire âRoumanie dâune dictature Ă lâautre ?â, coproduit avec « Les Films de lâInstant – Public Senat- CNC et sera diffusĂ©e sur la chaĂźne LCP Public SĂ©nat le 7 dĂ©cembre prochain Ă 21 h suivi dâun dĂ©bat. Ce documentaire est une enquĂȘte historique de 52 minutes sur les traces laissĂ©es en Roumanie par les annĂ©es de dictature communiste et la rĂ©volution qui y mit fin en dĂ©cembre 1989. « En 2019, la Roumanie prend le devant de la scĂšne internationale. Elle occupe la prĂ©sidence tournante de l’Union EuropĂ©enne et cĂ©lĂšbre les 30 ans de sa rĂ©volution. Trente ans auront Ă©tĂ© nĂ©cessaires pour passer d’une dictature sanglante Ă une forme de dĂ©mocratie. Cependant, la pĂ©riode Ceausescu n’est aujourd’hui pas totalement rĂ©volue pour le peuple roumain. Sous le vernis dĂ©mocratique apparaissent parfois des mĂ©canismes de contrĂŽle qui rouvrent des blessures issues du passĂ©. ».
Qui est Alina ?
Alina CICANI est une fille qui a fui son pays dâorigine, 10 ans aprĂšs la chute du communisme.
Je suis nĂ©e EN 1977 Ă Bucarest, en Roumanie. A la chute des CeauÈescu jâĂ©tais suffisamment grande pour me rappeler de cette pĂ©riode et suffisamment petite pour me reconstruire autrement que par lâendoctrinement. Je suis une grande admiratrice de la langue française et jâai fait mes Ă©tudes en classes bilingues français-roumain. AprĂšs le bac, jâai intĂ©grĂ© la FiliĂšre Francophone de lâUniversitĂ© Polytechnique de Bucarest oĂč je faisais mes Ă©tudes en gĂ©nie chimique. Câest sur la scĂšne de lâInstitut Français de Bucarest, Salle Elvira Popesco que jâai fait mes dĂ©buts en tant quâactrice. Durant mes Ă©tudes, jâai Ă©tĂ© embauchĂ©e par lâAgence Universitaire de la Francophonie (1) et j âĂ©tais en charge de promouvoir la francophonie auprĂšs des Ă©lĂšves ingĂ©nieurs. Jâai crĂ©Ă© une troupe de thĂ©Ăątre, et un ami, Theodor Paleolog, metteur en scĂšne de la troupe, mâa proposĂ© le premier rĂŽle dans le Petit Prince dâAntoine de Saint-ExupĂ©ry. CâĂ©tait une adaptation trĂšs originale, il mâa poussĂ© Ă monter sur scĂšne, et bien quâĂ©tant une jeune femme de 22 ans ce fut un pari rĂ©ussi pour tout le monde. Par la suite je suis partie continuer mes Ă©tudes en France : un DEA en Ressources Renouvelables et un doctorat en Agroalimentaire. A la fin de mon Doctorat jâai passĂ© le concours de la Classe Libre du Cours Florent que jâai rĂ©ussi (plus de 2000 candidats pour 20 places). Mais je nâai pas pu aller jusquâau bout car Ă lâĂ©poque la Roumanie nâĂ©tait pas dans lâUE et il me fallait une carte de sĂ©jour pour pouvoir continuer Ă vivre. Jâai laissĂ© tomber la derniĂšre annĂ©e de Classe Libre pour me faire embaucher dans une grande entreprise agroalimentaire. Mais en parallĂšle jâai continuĂ© en tant que metteur en scĂšne (« Couple Ouvert Ă Deux Battants » de Dario FO, au Festival Avignon Off) ou comme actrice (« BOA VIDA » de Nathalie Maia, ThĂ©Ăątre Clavel). Fin 2013 jâai fini mon premier documentaire sur les souvenirs de la RĂ©volution Roumaine « Lâenfant de la rĂ©volution » (Festival PointDoc 2014). En 2016 jâai rĂ©alisĂ© mon premier court mĂ©trage de fiction, qui parle de la difficultĂ© de devenir mĂšre, « Histoire dâun papillon » qui Ă ma grande surprise a eu beaucoup de succĂšs dans les festivals. Il a fait dâailleurs le tour des Etats Unis, alors que moi-mĂȘme je ne suis jamais allĂ©e. En 2017, jâai dĂ©cidĂ© de laisser tomber mon travail et me consacrer totalement Ă lâaudiovisuel. Jâai pris de cours en production audiovisuelle et jâai commencĂ© Ă faire des rencontres. Câest par un directeur de production avec qui jâai travaillĂ© pendant mon stage que jâai rencontrĂ© mes producteurs actuels. Et ainsi lâaventure a commencĂ©.
Comment est nĂ© le projet : Roumanie dâune dictature Ă lâautre ?
A la base je voulais faire une sĂ©rie documentaire sur les grandes personnalitĂ©s roumaines qui ont vĂ©cu sous le communisme. Jâavais contactĂ© Valdimir Cosma (2) , qui Ă©tait dâaccord si dans la sĂ©rie je mettais en avant dâautres grandes personnalitĂ©s. Je cherchais savoir qui je pourrais mettre en avant et un jour jâai eu lâidĂ©e de contacter Medeea Marinescu, lâactrice quâici en France est trĂšs connue pour son rĂŽle dans « Je vous trouve trĂšs beau » dâIsabelle Mergault (3).
Elle mâa rĂ©pondu de suite, câĂ©tait incroyable. Elle mâa donnĂ© plain de contacts et son enthousiasme mâa donnĂ© des ailes. Par la suite le projet a Ă©tĂ© changĂ© et jâai Ă©crit un unitaire sur la Roumanie dĂ©diĂ© aux Ă©lections europĂ©ennes en mettant en avant des personnalitĂ©s roumaines qui ont marquĂ©es la culture française. En parallĂšle, il se trouve que la chaĂźne Public SĂ©nat cherchait un sujet sur la Roumanie mais sur la chute des CeauÈescu. Alors ma productrice Anne Percie du Sert (les Films de lâInstant) mâa demandĂ© si câĂ©tait possible dâadapter le projet que jâavais Ă©crit. Jâai rĂ©pondu non car jâavais compris que Public SĂ©nat cherchait plus un sujet sur la RĂ©volution de 1989 que sur les personnalitĂ©s culturelles roumaines. En mâinspirant du livre « La chute des CeauÈescu » de Catherine Durandin que jâavais dans ma bibliothĂšque, jâai Ă©crit rapidement un rĂ©sumĂ© qui est devenu par la suite un film. Par la suite, ma collaboration avec Medeea Marinescu sâest concrĂ©tisĂ©e puisque jâai rĂ©ussi Ă la faire participer Ă ce projet. Elle nous parle dâailleurs avec beaucoup de tendresse de sa vie dâenfant sous le communisme et elle sâinsurge contre les Ă©vĂ©nements de 10 aoĂ»t 2018. Ce fut un vrai plaisir de travailler avec elle et jâespĂšre pouvoir continuer Ă collaborer avec.
Comment as-tu préparé ce projet de documentaire ?
A la base le film sâappelait «Dernier Noel dâun Dictateur» et câĂ©tait un film plutĂŽt historique avec beaucoup dâarchives. Au moment oĂč jâĂ©crivais le film il y a eu le 10 aout 2018 en Roumanie. A cette date la population roumaine accompagnĂ©e par la diaspora revenue au pays pour les vacances proteste dans la rue contre les mesures abusives prises par le gouvernement en place. La rĂ©pression est rapide et efficace. 450 blessĂ©s. Comme jâĂ©tais en train dâĂ©tudier les mĂ©thodes de rĂ©pression sous CeauÈescu, il y a eu un dĂ©clic. Car entre le 10 aoĂ»t 2018 et la rĂ©pression pendant la pĂ©riode communiste il y avait de ressemblances flagrantes. Par la suite jâai rencontrĂ© Catherine Durandin, lâhistorienne et une grande spĂ©cialiste de la Roumanie et connaissant trĂšs bien la pĂ©riode communiste. Elle mâa ouvert la porte de sa maison, son carnet dâadresses, sa bibliothĂšque, elle est devenue une amie au fil du temps. Je ne pourrais jamais assez lui remercier pour tout ce quâelle apportĂ© Ă ce film. Câest grĂące Ă elle que jâai rencontrĂ© ClĂ©mence Valin (4) et Marius Oprea (5), deux historiens experts dans leurs domaines. ClĂ©mence Valin a vĂ©cu 4 ans en Roumanie car elle faisait une thĂšse sur les enfants de rue, elle est notre experte dans la politique nataliste complĂštement folle de Ceausescu qui a marquĂ© Ă jamais certains destins. Dans le film jâaccorde une place tout particuliĂšre aux enfances nĂ©s pendant le rĂ©gime de Ceausescu car moi-mĂȘme jâĂ©tais enfant Ă cette Ă©poque. Je lâai fait car je trouve que nous ne parlons peu des dĂ©gĂąts de cette politique nataliste poussĂ©e Ă lâextrĂȘme et de ces consĂ©quences Ă long terme sur des gĂ©nĂ©rations roumaines. Le trauma de lâendoctrinement nâa pas Ă©tĂ© assez Ă©tudiĂ©.
Au-delĂ de parler de la corruption et de ce rĂ©seau mafieux qui sâest mis en place au fil du temps, je cherchais Ă ne pas tomber dans les clichĂ©s. Je voulais montrer les roumains sous un autre angle. Câest mon grande amie Cristina Selaru, qui mâa parlĂ© du projet de Carmen Uscatu et Oana Gheorgiu (6) que jâai contactĂ© immĂ©diatement.
Ces deux entrepreneuses se sont engagĂ©es dans un combat avec lâĂ©tat roumain : construire un hĂŽpital performant pour les enfants atteints dâun cancer uniquement de dons de particuliers et des entreprises. Aucun argent de provient de lâEtat roumain. Câest un dĂ©fi hors normes qui les fragilise au quotidien car les gouvernements qui se succĂšdent nâont aucune envie que ce projet puisse vraiment marcher. Cela voudrait dire que les roumains peuvent subvenir Ă leurs besoins sans lâEtat. Les filles mâont rĂ©pondu OUI de suite. Elles mâont aiguillĂ©e et aidĂ© Ă trouver lâĂ©conomiste Iancu Guda, qui fait des interventions courtes mais extrĂȘmement marquantes sur lâĂ©conomie roumaine dâhier et dâaujourdâhui. Au fur et Ă mesure du tournage, Carmen et Oana, sont devenues les principaux personnages du documentaire.
Jâavais Ă©galement fait une rencontre quelques annĂ©es auparavant avec un homme extraordinaire. Câest le torrĂ©facteur Gheorghe Florescu. Câest un ancien dĂ©tenu politique enfermĂ© pendant le communisme qui a Ă©crit un livre fabuleux «Les confessions dâun torrĂ©facteur »(7). Dans ce livre il dĂ©crit de maniĂšre vivante ce rĂ©seau mafieux qui sâest mis en place durant le communisme et comment les choses marchait dans le domaine alimentaire. En effet Gheorghe Florescu a Ă©tĂ© le torrĂ©facteur attitrĂ© de Nicolae et Elena Ceausescu donc il savait beaucoup dâhistoires folles dingues sur les gens quâils les entouraient. A la base je voulais faire un documentaire sur lui, mais le projet nâa pas abouti.
Câest un personnage clĂ© dans le film puisque câest le seul qui a Ă©tĂ© enfermĂ© et quâil a survĂ©cu Ă cet enfermement. Aujourdâhui câest le torrĂ©facteur le plus connu de Roumanie. Quand je vais chez lui, je me sens Ă la maison.
Pourquoi ce titre ?
Le titre est venu plus tard. Au fur et Ă mesure du travail de montage nous nous sommes rendus compte que ce que nous sommes en train de montrer quâen Roumanie la vĂ©ritable dĂ©mocratie a du mal Ă sâinstaller. Ce rĂ©seau qui a pris racines durant le communisme en Roumanie, qui perpĂ©tue la corruption et gangrĂšne le pays continue Ă agir mĂȘme aujourdâhui. Alors mes producteurs mâont proposĂ© « Roumanie, dâune dictature Ă lâautre ?  » Je nâai pas voulu au dĂ©part, je trouvais le titre trop fort. Mais au fur et Ă mesure du temps je me suis rendue compte que moi, jâavais du mal Ă assumer un tel titre. Jâavais peur. Cette peur nous a Ă©tĂ© inoculĂ©e dans la tĂȘte durant le communisme et câest difficile parfois de sâen dĂ©faire. Câest grĂące aux rencontres que jâai fait pendant le tournage de ce film avec de gens engagĂ©s, que jâai pu assumer moi-mĂȘme le titre.
Comment as-tu préparé le tournage du documentaire ?
Au dĂ©part je devrais faire quâune semaine de tournage en Roumanie. Nous sommes allĂ©s en janvier 2019 et avons commencĂ© le montage en mars 2019. Et pendant le montage arrive la grĂšve du 15 mars 2019. Un entrepreneur roumain, Stefan Mandachi (8), du Nord de la Roumanie, a fait un appel Ă grĂšve pour attirer lâattention aux autoritĂ©s quant au manque dâautoroutes dans le pays. Nous avons suivi cette grĂšve avec beaucoup dâintĂ©rĂȘt et mĂȘme, moi jâai arrĂȘtĂ© le montage du film pour 15 minutes en signe de soutien. Pour marquer les esprits, Stefan avait fait un film de 5 minutes quâil postĂ© sur internet qui est devenu viral. Lâampleur du mouvement nous a marquĂ© et jâai dĂ©cidĂ© dâintĂ©grer cet Ă©vĂ©nement dans mon documentaire. Nous avons demandĂ© lâautorisation Ă Stefan dâutiliser son film et la grĂšve de 15 mars, pour les intĂ©grer dans le film.
En avril-mai 2019 lors des visionnages intermĂ©diaires, mes producteurs sont littĂ©ralement tombĂ©s amoureux de la dĂ©marche de Stefan. Ils mâont demandĂ© dâaller le voir, le faire parler, je ne voyais pas lâintĂ©rĂȘt puisque jâavais des images suffisantes Ă mon goĂ»t pour parler de cette grĂšve. Et puis, cet entrepreneur sortait un peu de nulle part, personne ne savait quâil Ă©tait vraiment. Les informations sur internet Ă©taient un peu contradictoires, pas trĂšs viables et jâavais peur que le personnage quâil sâĂ©tait crĂ©Ă© tout seul ne soit dĂ©cevant une fois quâon racontait la personne. Mes producteurs ont insistĂ©, ils mâont quasi montĂ© de force dans lâavion vers Suceava. Et aujourdâhui je leur remercie. Jâai dĂ©couvert sur place un homme qui est convaincu quâun « petit pas de fourmi peut changer un monde ». Câest quelquâun qui ne veut pas faire de politique mais qui veut juste dĂ©velopper son business dans les meilleures conditions. Or ce nâest pas possible aujourdâhui en Roumanie, car malgrĂ© tous les fonds qui sont allouĂ©s Ă lâinfrastructure, les autoroutes ne sont pas construites. Le gouvernement passe son temps Ă faire de faux chantiers qui aprĂšs que les tĂ©lĂ©s passent pour prendre des images, les chantiers sont abandonnĂ©s, et lâargent se volatilise.
Stefan Mandachi nous a ouvert en plus, les portes de la maison de ses grands-parents, ce qui est absolument inĂ©dit. Câest la premiĂšre fois quâil montrait les outillages de son grand pĂšre qui Ă©tait une sorte dâentrepreneur sous le communisme.
Et puisque je partais voir Stefan et que le film avait vraiment changĂ©, il nâĂ©tait plus inscrit dans le passe mais dans le prĂ©sent, nous avons profitĂ© pour rencontrer Mihai Demetriade, historien aux Archives de la Securitate.
Mihai est un historien engagĂ©, qui avec beaucoup de professionnalisme parle des sujets extrĂȘmement controversĂ©s comme la corruption sous CeauÈescu, le trafic dâenfants et de marchandise, etcâŠ, Mihai Demetriade se bat avec des collĂšgues pour rĂ©cupĂ©rer la totalitĂ© des archives de la police secrĂšte roumaine. Il faut savoir que les Archives de la Securitate ne se sont pas complĂštes aujourdâhui, certains dossiers ne sont pas publics alors quâils devraient lâĂȘtre. Pour pouvoir obtenir que la totalitĂ© des archives soient publiques, ils ont dĂ» Ă©crire au PrĂ©sident de la Roumanie une lettre ouverte. Ce nâest pas chose facile dans un pays ou, dĂšs que tu rĂ©clame haut et fort justice on te met des bĂątons dans les rues pour te faire taire. Câest cette force de vouloir se battre contre un systĂšme que jâadmire chez Mihai Demetriade, Stefan Mandachi, Oana Gheorgiu et Carmen UScatu. Les voir dire haut et fort ce quâils en pensent, me donne le courage dâassumer ce film.
Tu es allée aux archives de la sécuritate à Bucarest, peux-tu nous en parler ?
PĂ©nĂ©trer dans le grand hall des archives de la Securitate Ă Popesti Leordeni a Ă©tĂ© pour moi lâexpĂ©rience la plus marquante. On y retrouve 26km dâarchives, de dossiers, de vies brisĂ©es. Jâavais demandĂ© Ă la base une autorisation pour filmer de plans larges et on mâa proposĂ© de filmer de prĂšs certains dossiers chose qui nâest pas courante. Je suis donc une de premiĂšres rĂ©alisatrices Ă approcher dâaussi prĂšs ces documents. Bien Ă©videmment ce ne sont pas non plus de documents trĂšs importants mais ils nous nous permettent de comprendre lâabsurditĂ© du systĂšme. Nous avons eu une matinĂ©e pour filmer, et je me rappellerai toute ma vie tellement ce fut intense. Voir jusquâĂ quel point on va dans lâintimitĂ© de gens ça mâa bouleversĂ©. Et je me rappelle dâun meuble dans lequel il y avait de cartes postales interceptĂ©s de lâĂ©tranger. Ma maman recevait des cartes de ses amis Ă lâĂ©poque et ça mâa fait directement Ă©cho Ă ma vie. « Cela se trouve des copies de cartes postales e ma maman se trouvait dans ce meuble âŠParfois il ne vaut mieux pas savoir »
Penses-tu que les roumains rejettent encore la faute à la période communiste ? ont-ils encore des peurs ?
Je vais citer Carmen Uscatu qui dit «la peur est toujours prĂ©sente ». Oui, je confirme les roumains ont peur. Lâexercice dĂ©mocratique de demander leurs droits ou aller manifester dans la rue est quelque chose de nouveau pour eux. Câest un peuple qui a Ă©tĂ© rĂ©primĂ©, au moindre geste de contestation, mĂȘme aprĂšs la chute de CeauÈescu. En apparence ils ont le droit dâĂȘtre revendicatifs. Mais ces gestes osĂ©s, ont un prix. Car si tu as besoin un jour dâune autorisation quelconque, tu seras surpris du temps quâon va mettre pour te rĂ©pondre et de la lourdeur subite de la dĂ©marche, ou bien de contrĂŽles systĂ©matiques qui peuvent ĂȘtre mis subitement en place. Ce nâest pas quelque chose de trĂšs visible, câest ça qui est perfide.
Certaines voix se lĂšvent pour dire que câest la faute du communisme. Mais en rĂ©alitĂ© ce nâest plus possible 30 ans aprĂšs la chute. Les excuses peuvent ĂȘtre multiples. Mais en rĂ©alitĂ©, câest la peur qui empĂȘche lâĂ©volution de la sociĂ©tĂ©.
Moi je place beaucoup dâespoir dans ce pays. Je vois les nouvelles gĂ©nĂ©rations se lever, lutter contre les mauvaises habitudes, et vouloir faire de leur pays un monde meilleur. Avec de gens comme Carmen, Oana, Stefan, Mihai, et dâautres comme Marius Manole et Tudor ChirilÄ dans le secteur artistique, Cristi DÄnileĆŁ dans le secteur juridique, je suis certaine que les mentalitĂ©s vont Ă©voluer. Dâailleurs Stefan Mandachi, Cristi DÄnileĆŁ et ChirilÄ militent pour un meilleur systĂšme Ă©ducationnel.
 Que reprĂ©sente « Roumanie dâune dictature Ă lâautre » dans ton parcours ? Quâest-ce que ce documentaire a changĂ© pour toi ?
Pour moi ce film a changĂ© Ă jamais ma vie dans tout point de vue. Il y a une Alina avant ce projet et une autre Alina aprĂšs. Ce projet mâa aidĂ© Ă assumer mes peurs : ma peur de dire ce que je pense, ma peur de ne pas plaire si je suis trop vocale, ma peur de ne pas ĂȘtre parfaite et de faire des erreurs, ma peur de ne pas ĂȘtre comme les autres, tels que le communisme mâavait formĂ©. Sous le communisme il fallait ĂȘtre parfait en tout point de vue, tu nâavais pas le droit Ă lâerreur et tu ne faisais pas ce que tu voulais. Dans mon cas câest ma maman qui a choisi mon mĂ©tier dâingĂ©nieur. CâĂ©tait comme ça. Et probablement que câest de lĂ que mon dĂ©sir de me reconstruire autrement dans un autre pays est arrivĂ©. Pour faire ce projet jâai arrĂȘtĂ© mon mĂ©tier dâavant (je travaillais dans une grande entreprise comme experte en nutrition et rĂ©glementation europĂ©enne), jâai repris lâĂ©cole et je me suis lancĂ©e dans cette aventure. Jâai aujourdâhui un rituel le matin quand je me lĂšve. Je regarde sur les rĂ©seaux sociaux si Carmen & Oana, Stefan et Mihai continuent Ă se battre. Carmen & Oana vont construire un deuxiĂšme hĂŽpital, Stefan Mandachi fait un documentaire sur lâimpact sur les roumains du manque dâautoroutes. Mihai Demetriade a rĂ©ussi Ă rapatrier de lâĂ©tranger certaines archives.Â
Donc si eux continuent, moi je me dois dâassumer ce que je pense vraiment et lâexprimer. Cela a changĂ© ma vie.
Est-ce quâil va ĂȘtre projetĂ© en Roumanie si oui, quelles sont tes attentes vis-Ă -vis du public roumain ?
Nous sommes en train de nĂ©gocier des sĂ©ances dĂ©bats en Roumanie avec lâInstitut Français de Bucarest et non seulement. Je ne sais pas Ă quoi mâattendre sur place. JâespĂšre juste ne pas me faire « huer ». Les roumains qui ont pu voir le film ont beaucoup apprĂ©ciĂ©, mais jâavoue que je ne dors pas tranquille quand je pense que je dois aller le prĂ©senter sur place.
Quels sont les projets sur lesquels tu travailles aujourdâhui et ceux que tu aimerais rĂ©aliser Ă lâavenir ?
Je commence Ă travailler sur un documentaire unitaire sur la situation des enfants de rue en Europe en partant comme exemple de la politique nataliste de Ceausescu. Câest un sujet plus complexe, oĂč jâai besoin de beaucoup dâaide pour pouvoir faire les recherches nĂ©cessaires.
Jâaimerais ensuite continuer sur la fiction. Le fait de travailler en documentaire vous donne la possibilitĂ© de rencontrer de gens extraordinaires et dâavoir accĂšs Ă des histoires hors du commun. Jâaimerais un jour faire de la publicitĂ© aussi, je trouve que câest un exercice extraordinaire. Raconter une histoire en moins dâune minute, ce nâest pas chose facile.  Un jour je ferai aussi une comĂ©die musicale, ça se serait le summum.
Ce que je souhaite le plus est de pouvoir continuer ce mĂ©tier, ne jamais mâarrĂȘter, me laisser la chance de vivre de ces histoires que jâadore raconter.
- anciennement AUPELF UREF
- Compositeur, chef dâorchestre et violoniste roumain (1940, Bucarest) https://www.francemusique.fr/personne/vladimir-cosma
- Bande annonce, je vous trouve trĂšs beau http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18405034&cfilm=59132.html
- Résumé de la thÚse de Clémence Valin : « Comment ils sont devenus invisibles : les enfants des rues de Bucarest dans la transition post-communiste » http://www.theses.fr/2018USPCC140
- Article de Marius Oprea https://www.lemonde.fr/europe/article/2006/07/20/marius-oprea-le-traqueur-obstine-de-la-securitate_797166_3214.html
- https://old.daruiesteviata.ro/fr/qui-sommes-nous-qui-nous-sommes-ce-que-nous-faisons-et-pourquoi-nous-le-faisons/
- http://www.humanitas.ro/gheorghe-florescu
- le blog de Stefan Mandachi https://www.stefanmandachi.ro/