Ursula Wernly Fergui : réalisatrice de l’enfant du Diable

« L’enfant du Diable » est un documentaire de 2014 réalisé par Ursula Wernly Fergui où le spectateur est invité à découvrir le cheminement des orphelins de Ceausescu à travers l’histoire de Marion Le Roy Dagen et d’Elisabeth Blanchet. Marion est née en Roumanie et a été adoptée par un couple de Français. Jeune maman d’un petit garçon, elle revient sur son histoire. Elle veut retourner en Roumanie pour raconter son histoire et celle des orphelins qui n’ont pas eu la chance d’être adoptés. Elisabeth Blanchet est une artiste photographe qui a découvert la Roumanie après la chute du communisme. Elle a alors créé une association humanitaire pour venir en aide aux orphelins de Popricani. Elle documente leur quotidien, réalise des portraits en noir et blanc et tisse des liens forts avec les orphelins et le personnel de l’orphelinat. Aujourd’hui, elle aussi revient en Roumanie pour les retrouver et pour raconter ce qu’ils sont devenus, 25 ans après la chute du dictateur.

 

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U. Wernly Fergui en Roumanie lors du tournage de « l’Enfant du Diable » © E. Blanchet

 

Qui est Ursula Wernly Fergui ?

Je suis née en Suisse et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 30 ans. Après des études d’histoire et de sociologie et trois ans au sein d’une rédaction de journal télévisé, je me suis installée à Paris.

Dès mon arrivée en France, je me suis tournée vers le documentaire tout en continuant à faire du reportage.

 

Tu as fait des études d’histoire et de sociologie, puis tu t’es dirigée vers le journalisme et tu as travaillé en tant que journaliste reporter d’images pour le journal télévisé. En quoi consistait ce travail ? A priori, l’université et le journalisme sont deux « écoles » distinctes : comment t’es-tu orientée vers le documentaire ?

 

portrait2-aforUn journaliste reporter d’images réalise des reportages pour la télévision dans leur intégralité. Il est à la fois journaliste, cadreur et souvent également monteur. J’ai fait des études d’histoire parce que j’étais passionnée par l’histoire. Je me suis orientée vers le journalisme seulement après la maîtrise en faisant des stages à la télévision tout en continuant mes études. Il est vrai que le travail de journaliste n’est pas le même que celui de réalisateur. Pour le documentaire, mes études d’histoire et de sociologie me servent beaucoup : aller au fond des choses, ne pas tomber dans le manichéisme, prendre le temps d’écouter, de regarder.

 

Mais j’aime également beaucoup le travail de reporter où il s’agît de réagir vite, d’aller à l’essentiel. Les deux se complètent.

 

Quels sont les travaux majeurs que tu as réalisé et pourquoi sont-ils majeurs pour toi ?

 

Pour moi, chaque rencontre, chaque tournage est unique. Il m’arrive de tenir la caméra pour d’autres réalisateurs et j’aime beaucoup le travail d’équipe, cela me permet d’évoluer. Mais j’avoue que L’enfant du diable est l’un des films qui m’ont le plus marqué. C’était une expérience humaine extraordinaire. Avant de tourner le film, le projet avait mûri pendant près de cinq ans et quand je regarde le résultat, je me dis qu’on a fait un bon bout de chemin ensemble. C’est ce que j’aime dans ce métier : Contrairement au travail journalistique où prime l’info, le travail de réalisateur est une constante remise en question, une aventure humaine.

 

Quelles sont tes références, tes influences ?

 

Notre_pain_quotidien (2)« Faire passer un message fort sans commentaire, sans dialogues, sans musique, avec des plans larges, fixes. Un choix très radical, mais qui m’a beaucoup fait réfléchir sur ma manière de regarder, d’écouter, de filmer. »

 

 

J’ai toujours aimé le grand documentaire historique, les images d’archives, les belles voix de comédiens, les commentaires bien écrits. Mais c’est la découverte d’un cinéma du réel proche des gens et d’un documentaire ethnographique d’un Jean Rouch ou d’un Robert Flaherty qui m’ont donné envie de faire du documentaire. L’un des films qui m’ont le plus marqué ces dernières années, c’était « Notre pain quotidien » de Nikolaus Geyrhalter. Faire passer un message fort sans commentaire, sans dialogues, sans musique, avec des plans larges, fixes. Un choix très radical, mais qui m’a beaucoup fait réfléchir sur ma manière de regarder, d’écouter, de filmer.

 

Comment est né le projet « L’enfant du Diable » ?

 

En 2008/2009, j’ai régulièrement tourné à Londres où j’ai fait la connaissance d’Elisabeth Blanchet. La photographe me parlait alors de son travail sur les orphelins de Ceausescu et de son projet de raconter ce qu’ils étaient devenus 20 ans après la révolution roumaine. J’ai tout de suite pensé à un documentaire, mais le projet a mis cinq ans à aboutir.
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U. Wernly Fergui et E. Blanchet en Roumanie lors du tournage de « l’Enfant du Diable » 

© M. Le Roy Dagen

 

Comment as-tu préparé le projet de ce film ?

 

autobiographie-de-nicolae-ceausescu-AFORPour préparer le dossier destiné à la télévision, je me suis évidemment beaucoup documenté, il fallait se replonger dans la période de la dictature de Nicolae Ceausescu pour comprendre ce qui était arrivé à ces enfants. Le documentaire « L’autobiographie de Nicolae Ceausescu » d’Andrei Ujica m’a également beaucoup aidé à saisir la personnalité du dictateur et de son entourage, l’ambiance qui régnait à cette époque.

 

Comment as-tu préparé le tournage de ce film ?

 

J’ai rencontré Marion plusieurs fois, j’ai commencé le tournage en juillet 2013 par des interviews très longues. Elle était enceinte à l’époque. J’ai filmé la dernière échographie, j’étais également là le jour de l’accouchement. On a pris beaucoup de temps avant de partir en Roumanie. Il fallait que Marion soit prête. J’étais également en contact permanent avec Dan, notre traducteur et ancien éducateur de l’orphelinat de Popricani. Il m’a beaucoup aidé à préparer le tournage. Il était en contact avec les orphelins de Popricani et m’a aidé à contacter les autorités roumaines, les archives etc. En ce qui concerne le matériel, je tenais à tourner avec du matériel léger, afin d’être le plus discret possible.
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Extrait de « L’enfant du Diable »  © U. Wernly Fergui

 

Tu expliquais lors d’une intervention, que lors du tournage vous avez fait face à un certain nombre d’imprévus. En tant que réalisatrice, comment t’es-tu adaptée ?

 

Au moment du départ en Roumanie, je ne me doutais pas du tout que Marion allait se lancer à la recherche de son père biologique. Avant le tournage, elle avait surtout envie de rencontrer les orphelins de Popricani.

 

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Extraits du film : portraits d’anciens pensionnaires de l’orphelinat de Popricani © U. Wernly Fergui

 

Elle ne voulait pas forcément tourner dans sa ville natale, retrouver sa mère biologique, retourner à l’orphelinat. Il a fallu beaucoup de temps avant qu’elle accepte la présence de la caméra dans ces moment très intimes. Une fois sur place, nous sommes directement allés voir sa mère biologique qui avait très envie de témoigner. Marion avait très peur qu’elle veuille se justifier de l’avoir abandonné, « se racheter », comme elle disait. Elle se méfiait. Mais dès la première rencontre et grâce à Dan, notre traducteur, elle a compris qu’il fallait l’écouter, lui faire confiance. C’est à partir de ce moment-là que les évènements se sont enchaînés. Pour moi, il était très difficile de prévoir ce qui allait se passer. C’était très fragile. Mais c’est cette fragilité qui m’intéressait. Comment 25 après la fin de la dictature, cette jeune femme devenue mère souffre encore de ce passé douloureux. Montrer la souffrance, la difficulté de se défaire de ce poids. Il fallait donc écouter, discuter, mais aussi lui faire comprendre qu’elle pouvait me faire confiance.

 

En tant qu’adoptée ne connaissant pas mes parents biologiques, quand je rencontre un homme roumain d’un certain âge, j’ai toujours l’impression d’avoir un père potentiel en face de moi. Dan Palimaru, représente-il aussi une figure paternelle symbolique préparant Marion à la rencontre ? Qu’en pensez-vous ? Selon vous a-t-il joué un rôle spécifique au cours de ce tournage ?

 

Le rôle de Dan a été déterminant. Il avait été éducateur du temps de Ceausescu. Il était la clé vers le passé plutôt qu’une figure paternelle. Mais il faudrait poser la question à Marion. Ce qui est sûr, c’est qu’elle lui a immédiatement fait confiance. Il avait les réponses qu’elle attendait depuis si longtemps et il a su la rassurer. C’est grâce à lui qu’elle a compris à quel point sa mère biologique avait souffert.

 

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Extrait d’une discussion entre Marion, sa mère biologique Ana

grâce à la présence et à la traduction de Dan P.  © U. Wernly Fergui

 

 

Tu expliquais lors d’une intervention que tu avais voulu éviter d’utiliser des images d’archive : pourquoi ce choix ?

 

Je n’avais pas envie de faire un film historique sur les orphelins de Ceausescu. On avait à disposition des archives de la télévision roumaine, mais plutôt que de montrer les images choc de Ceausescu et des orphelinats surpeuplés, je cherchais à raconter la grande histoire à travers le vécu des orphelins. Pour eux, l’image du « père de la nation » était quelque chose d’abstrait. Pour comprendre la grande Histoire, il fallait raconter les souffrances de Marion et des enfants de Popricani. Mais évidemment je me suis servi des archives d’Elisabeth Blanchet. Ses portraits en noir et blanc et ses archives filmées m’ont permis de raconter le passé à travers l’histoire intime de la photographe et de ces enfants.

 

Comment s’est déroulée l’étape du montage ? J’ai appris que le monteur du film est également écrivain. Comment s’est déroulée cette collaboration ? Comment avez-vous conçu la narration du documentaire ?

 

Oui, Xavier-Marie Bonnot qui a monté le film est écrivain et également réalisateur. Nous avons collaboré sur différents projets ces dernières années. Son regard était très important. Contrairement à moi, il avait le recul nécessaire. Nous avons mis beaucoup de temps à monter le début du film, de trouver un équilibre entre les différents personnages. Et puis faire exister « le diable » sans le montrer à l’image. C’est Xavier-Marie qui a eu l’idée de monter la voix de Ceausescu sur le début du film.

 

Que représente « L’enfant du Diable » dans ton parcours ? Qu’est-ce que ce documentaire a changé pour toi ?

 

Je n’avais jamais travaillé aussi longtemps sur un projet, c’était une expérience unique. Pas forcément facile, mais très enrichissante sur le plan humain. Marion a beaucoup aimé le film, cette expérience lui a permis d’avancer dans sa quête d’identité. Pour moi en tant que réalisatrice, c’est la plus belle récompense. En faisant ce film, j’ai appris qu’il était important de prendre des risques, d’attendre que les choses évoluent d’elles-mêmes.

 

Quels sont les projets sur lesquels tu travailles aujourd’hui et ceux que tu aimerais réaliser à l’avenir ?

 

Je développe constamment de nouveaux projets de documentaire, mais pour l’instant, aucun n’est en cours de réalisation. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est l’humain. Par exemple raconter la grande Histoire à travers le prisme de ceux qui l’ont vécue. Mais j’aime aussi aller à la rencontre de gens à qui on ne donne pas souvent la parole. J’aime changer de point de vue. Ecrire, se documenter, oui, mais également se laisser surprendre. Car des moments magiques comme la rencontre de Marion avec son père biologique ne sont jamais écrits à l’avance.

 

 Bande annonce de « L’enfant du Diable »

 

Pour plus d’informations :

Sur notre blog

 

Article sur Marion Le Roy Dagen : Marion, « L’enfant du Diable »

Article sur Elisabeth Blanchet : Elisabeth Blanchet : la photographe des orphelins

 

 

Iconographie

 

Affiche de « Notre pain quotidien » Nikolaus Geyrhalter : site de critique cinéma

Affiche de « L’autobiographie de Nicolae Ceausescu » de Andreï Ujica : site de Challenge, rubrique ciné

Portrait de Xavier-Marie Bonnot : page wikipedia de l’auteur

Photographies de Elisabeth Blanchet et retrouvez les photos du tournage du documentaire : www.elisabethblanchet.com

 

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