Marion, « L’enfant du Diable »

Marion 2014 (copyright E.Blanchet)

Marion 2014 (détail) © E. Blanchet

L’enfant du diable

C’est le titre du film documentaire que Marion Le Roy Dagen, une française adoptĂ©e en Roumanie, vient de tourner en collaboration avec la photo-journaliste Elisabeth Blanchet et la rĂ©alisatrice Ursula Wernly Fergui.

 

Il y a 34 ans on avait affirmĂ© Ă  Marion que sa mère biologique Ă©tait dĂ©cĂ©dĂ©e…
Il y a 34 ans on avait affirmĂ© Ă  cette mère que son enfant Ă©tait morte…
Dans ce documentaire émouvant, Marion part en Roumanie rendre visite à sa mère qui est toujours vivante.
Elle va aussi à la rencontre des enfants qu’Elisabeth Blanchet avait photographié dans des orphelinats, il y a 25 ans. Que sont ils devenus ?

 

Photo extraite de la collection "20 ans après" d'Elisabeth Blanchet
Photo extraite  de la collection « 20 ans après » d’Elisabeth Blanchet © E. Blanchet (1)

 

 

Le film sera diffusĂ© en avant première sur la chaĂ®ne TLT Toulouse vendredi 09/01/2015 Ă  21h,  nous vous communiquerons ultĂ©rieurement les dates de diffusions sur d’autres chaĂ®nes. En exclusivitĂ© pour le site « les enfants adoptĂ©s de Roumanie », Marion nous prĂ©sente son histoire de vie :

« Je suis née, voici 38 ans, à AIUD en Transylvanie.

J’ai étĂ© placĂ©e en institution quelques semaines après ma naissance puis adoptĂ©e fin 1982, à l’âge de 6 ans, par une famille française. Le dictateur Ceausescu Ă©tait alors encore au pouvoir et il avait fallu deux ans de rouages administratifs avant qu’il donne son accord pour mon adoption, pour ma libertĂ© !

 

Photo Marion l'enfant du diable
Marion et ses parents adoptifs © E. Blanchet

 

 

Mes parents ne m’ont jamais caché que j’avais été adoptée.

Le nom et prĂ©nom de ma mère biologique « Ana », figuraient sur mon dossier d’adoption. Il Ă©tait prĂ©cisé que j’étais nĂ©e de père inconnu. Peu de temps après mon adoption, mes parents avaient reçu une lettre de mon orphelinat oĂą la directrice leur annonçait qu’Ana Ă©tait dĂ©cĂ©dĂ©e. Étrangement, j’ai toujours eu le vague pressentiment que c’était faux. En 1989, j’ai alors 12 ans, NoĂ«l approche, je suis assise dans le salon devant le journal tĂ©lĂ©visĂ© avec mes parents oĂą toutes ces chaines offrent en boucle le chaos en Roumanie. Cette rĂ©volution qui embrasait mon pays a Ă©tĂ© aussi une rĂ©volution dans ma tĂŞte. Ce fut le dĂ©clic, l’explosion qui a dĂ©clenchĂ© ma quĂŞte d’identitĂ©.

 

J’Ă©tais alors en pleine crise de prĂ©adolescence. Mal dans ma tĂŞte, dans mon cĹ“ur et dans mon corps, je me sentais surtout si diffĂ©rente et tellement incomprise des autres. Je n’ai pas toujours Ă©tĂ© facile avec mes parents Ă  cette pĂ©riode : murĂ©e dans le silence, énervement contre eux, claquement des portes, esprit rebelle.

 

Je m’Ă©tais construite en intĂ©grant l’idĂ©e qu’il Ă©tait mĂ©prisable et inexcusable pour des parents d’abandonner un enfant. Ce qui pouvait facilement induire dans mon esprit que j’Ă©tais peut-ĂŞtre porteuse d’un sang mauvais. Ce qui pouvait facilement faire naĂ®tre en moi une honte de mes origines et une mĂ©sestime de moi-mĂŞme. Ce qui plaçait l’adoptĂ©e que j’Ă©tais, en position de pauvre victime de coupables dĂ©signĂ©s. Ce qui, en opposition, faisait apparaĂ®tre mes parents adoptifs comme des sauveurs et non tout simplement comme des parents. Le fait de me sentir redevable ne pouvait que venir parasiter tout l’amour filial que je leur portait.

Je restais hantĂ©e par des questions sans rĂ©ponses, par les zones d’ombre qui entouraient ma naissance. J’avais besoin de comprendre les raisons de mon abandon, les raisons de cet acte maternel et paternel qui me semblait incomprĂ©hensible et cruel. Je voulais savoir comment s’était passĂ©e cette sĂ©paration avec ma gĂ©nitrice. Avais-je étĂ© nourrie, soignĂ©e, entourĂ©e de tendresse, d’attention, d’amour ?

Si Ana Ă©tait effectivement morte, je n’aurais jamais mes rĂ©ponses. Pour le savoir, je devais effectuer des recherches. Mais étais-je rĂ©ellement prĂŞte Ă  me confronter Ă  un passĂ© douloureux pour me construire une identitĂ© et aborder ainsi plus sereinement mon futur ?

 

En 2000, alors que je me rends en Roumanie dans un cadre humanitaire avec un petit groupe d’étudiantes, je retrouve Ana, par un hasard inouïe :

 

Notre trajet passait par Aiud, ma ville de naissance, on décide de s’y arrêter, juste le temps de prendre un café. Nous étions Tranquillement installées à la terrasse du bar quand une de mes amies me suggère de demander à la patronne si elle connaît des personnes portant mon nom biologique. Je me dis : pourquoi ne pas tenter ?

 

La femme derrière le bar me répond qu’elle connaît une famille de ce nom, dans un quartier tout proche et me donne l’adresse d’une maison où un certain Banicu pourra mieux me renseigner. Arrivées à l’adresse indiquée, nous croisons un type ivre, tout dépenaillé et je me dis « Pourvu que ce ne soit pas mon père ! »
Puis  un homme âgĂ© sort de la maison, c’est Banicu. Il vient Ă  notre rencontre en nous dĂ©visageant quand soudain son regard s’attarde avec insistance sur moi… Et soudain il me lance :

 

« Toi,
tu es Roumanie »,
je lui réponds amusée : « oui
je suis roumaine, j’ai été adoptée ».
Puis, Ă  ma grande stupĂ©faction, voilĂ  qu’il enchaĂ®ne : « Toi, tu es la fille d’Ana! »

 

A cet instant je suis tétanisée. Le ciel vient de me tomber sur la tête! Ma mère est donc bien vivante et elle est quelque part, là, tout proche !

 

Bunicu nous amène jusqu’à la maison d’Ana. Le choc est violent et probablement encore plus pour elle qui ne s’attendait pas, 1 minute plus tôt, à voir surgir devant elle son enfant ressuscité et
métamorphosé en jeune femme étrangère. Car, à Ana aussi, on avait annoncé que j’étais morte !




Photo Marion l'enfant du diable Marion et Ana (détail) © E. Blanchet

 

D’un point de vue émotionnel, la rencontre est difficile et la communication rendue encore plus compliquée par le barrière de la langue.

Toutes les questions intimes qui m’avaient faite souffrir pendant 34 ans fusaient maintenant Ă  l’adresse de cette femme qui me restait étrangère. Ana craignait-elle de me dĂ©cevoir ? Ses explications sur mes origines et mon histoire semblaient confuses. Elle me donnait des versions diffĂ©rentes quand je reformulais une mĂŞme question. J’étais repartie perplexe… J’Ă©tais ensuite  retournĂ©e 3 fois en Roumanie voir Ana mais toujours en restant sur mes gardes et sans éprouver l’envie de m’investir dans cette relation.

Ce n’est que depuis la naissance de mon fils en 2013 que je me sens prête à réellement « entrer en relation » avec  Ana pour enfin entendre et comprendre son histoire et donc la mienne aussi. Je veux savoir quoi répondre à mon fils quand il me posera des questions sur mes origines.

 

J’avais toujours reconnu pour parents uniquement ceux avec qui j’avais tissĂ© le lien filial du cĹ“ur. Le fait d’avoir retrouvĂ© ma mère biologique n’avait pas suffit Ă  lui seul à me dĂ©lester totalement du poids des ressentiments qu’avait fait naĂ®tre en moi la vision occidentale de l’abandon et de l’adoption. C’est en devenant Ă  mon tour mère que j’ai mesurĂ© combien rien n’avait jamais rĂ©ussi Ă  rompre le lien qui m’inscrit, comme tout individu, dans une descendance biologique. Lien qui n’enlève rien Ă  celui qui me lie aussi Ă  mes parents adoptifs.  


Marion et Ana, sa mère biologique © E. Blanchet

 

Le voyage de 2014 pour le tournage du film “ L’Enfant du Diable  » a été l’occasion pour moi de retrouver Ana avec cette fois un bon interprète franco/roumain. Avec aussi un autre regard, un regard bien moins obscurci par le filtre de mes préjugés. Ces préjugés qui, callés sur ceux de la pensée collective occidentale, avaient fait naître en moi tant de peurs, de révoltes et de souffrances qui auraient pu être évités.

Je découvre alors que je n’ai pas été abandonnée par Ana mais qu’on nous a séparées.

 

RejetĂ©e Ă  18 ans par les membres de sa famille quand ils apprennent qu’elle se trouve enceinte après une courte histoire d’amour, Ana accouche toute seule chez elle d’un bĂ©bé prĂ©maturĂ©. Affaiblie, dĂ©semparĂ©e
et sans revenus, elle me place quelques semaines après dans un   » orphelinat  » (2)  qui assurera ma survie, le temps que sa situation s’amĂ©liore pour pouvoir me rĂ©cupĂ©rer.

 

J’avais 4 ans quand on lui fait savoir que des Ă©trangers souhaiteraient m’adopter. A cette Ă©poque les conditions de vie dans les orphelinats comme dans les familles Ă©taient telles, que la mortalitĂ© infantile Ă©tait importante.  Personne n’imagine que bientĂ´t, la Roumanie exsangue et affamĂ©e sera libĂ©rĂ©e de l’auto-proclamĂ©  » Père de la Nation  » et de sa diabolique Ă©pouse. Dans l’esprit d’Ana  » parents d’adoption  » est synonyme de  » famille d’accueil bĂ©nĂ©vole « , j’aurais une belle vie et elle pourra recevoir de mes nouvelles. Pour cela il faut qu’elle signe un papier. Ana est jeune, seule et impressionnable. SitĂ´t signĂ© ce  » papier « , qui s’avère ĂŞtre un acte d’abandon, la directrice lui fait comprendre qu’elle ne me rĂ©cupĂ©rera jamais !!!!

Peu après, on lui annonce alors que je n’ai pas pu ĂŞtre adoptĂ©e car ‘hĂ©las, entre-temps je suis morte (2).

 


Le père et son fils découvrent Marion © E. Blanchet

 

De mon père, Ana n’a conservĂ© qu’une photo et un nom. L’Ă©quipe de tournage m’aide Ă  le retrouver.
La rencontre avec mon père biologique  se déroule de façon totalement inattendue et inespérée.

Ce film documentaire  » L’Enfant du diable  » (3)  a Ă©tĂ© tournĂ© Ă  la mĂ©moire de mes camarades, les rescapĂ©s du rĂ©gime de Ceaucescu. C’est aussi un moyen de rendre hommage Ă  tous ceux qui ont survĂ©cu, qui ont subi les pires sĂ©vices et continuent Ă  en subir les consĂ©quences et Ă  tous ceux qui ont perdu leur âme et leur vie. C’est aussi pour moi une manière de rendre hommage Ă  mon papa adoptif qui m’avait encouragĂ© Ă  retrouver ma mère biologique. Il  dĂ©cĂ©de alors que j’Ă©tais enceinte de mon fils.
Je suis sur le chemin du pardon qui me libère de la colère et de la haine. »

 

Marion Le Roy Dagen, propos recueillis par Nadine Delpech pour le site « les adoptés de Roumanie »  publié initialement mercredi 7 janvier 2015
Avec l’aimable contribution d’Elisabeth Blanchet pour les photos.

Marion 2014 (copyright E.Blanchet)

Marion et son père biologique en 2014 lors du tournage du film © E. Blanchet

Bande annonce du documentaire

*1 http://rue89.nouvelobs.com/2009/12/28/roumanie-parcours-dorphelins-vingt-ans-apres-ceaucescu-131534

*2 http://lesadoptesderoumanie.blogspot.fr/search/label/Histoire%20des%20adopt%C3%A9s%20%282%2F2%29

*3 http://www.kanarifilms.fr/Kanarifilms/Lenfant_du_diable.html

Article sur ce blog concernant la projection à la Scam du film.

Chaîne youtube du producteur indépendant Kanari Films.

Pour plus d’informations :

La page Facebook consacrĂ©e au documentaire : « L’Enfant du Diable, le doc »

L’un des site de l’artiste Elisabeth Blanchet et sa page Facebook

Présentation de la réalisatrice Ursula Wernly Fergui sur le site de la maison de production Kanari Films.

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  • Bonjour je prĂ©nome Cristian Brauen nĂ© Marian Cristian en 1990 j’ai Ă©tĂ© adopter en roumanie en 1990 je suis arrivĂ© en suisse en octobre 1990
    J ai lu votre histoire
    Et je suis moi aussi né d une mère se prenomant ana et d un pere inconnu.
    Je recherche desespérement ma mère biologique pouvez vous m aider ou me contacter svp a mon adresse e mail : Crissocks69@gmail.com
    En esperant que vous me lisiez et me répondez je vous envoient mes meilleurs salutations.

    Cristian Marian Brauen

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