Replacer l’adoption dans le contexte international de l’Ă©poque

L’adoption reprĂ©sente un puissant lobbying, qui en Europe Occidentale comme aux Etats-Unis, Canada et IsraĂ«l est en mesure dâexercer rĂ©guliĂšrement des pressions sur les pays pourvoyeurs d’enfants via leurs gouvernements.
– Entre 1981 et 1987 : la Roumanie alloue aux familles françaises Ă peine plus de 500 enfants. [1]
– DĂ©but 1988 : elle dĂ©cide de fermer lâadoption internationale.
– DĂ©cembre 1989 : le peuple roumain, ruinĂ© et opprimĂ© rĂ©ussit Ă se libĂ©rer du joug du couple Ceausescu.
– Entre 1990 et 2000 : plus de 30 000 enfants roumains, sont adoptĂ©s Ă lâĂ©tranger.[2]
– DĂ©but 1990 : le monde entier dĂ©couvre avec effroi, l’existence d’une centaine de milliers « d’orphelins affamĂ©s et nĂ©gligĂ©s que les roumains laissent croupir dans des orphelinats-mouroirs« .
Il est important de prĂ©ciser que les « orphelinats roumains » n’Ă©taient pas des orphelinats au sens oĂč nous lâentendons !
Les « casa de copii », (littĂ©ralement « maison dâenfants »), Ă©taient des Ă©tablissements oĂč l’Etat prenait en charge la garderie, l’hĂ©bergement, la nourriture et les soins mĂ©dicaux des enfants de mĂšres ou de couples dans l’incapacitĂ© matĂ©rielle et/ou psychique de pourvoir Ă leurs besoins ; ceci, le temps quâil leur Ă©tait nĂ©cessaire pour pouvoir les reprendre.Seule une minoritĂ© de mĂšres les donnaient dâemblĂ©e en rompant tout lien. Celles-lĂ signaient alors « un acte dâabandon » qui permettait Ă l’enfant dâĂȘtre adoptable Ă lâinternational.
Les « orphelins roumains » Ă©taient loin dâĂȘtre tous des orphelins ! CâĂ©tait peut-ĂȘtre bien commode de le penser, mais 97% d’entre eux avaient une mĂšre vivante et identifiĂ©e et certains Ă©galement un pĂšre.
Plus de 50% des mĂšres venaient rendre visite Ă leur enfant soit rĂ©guliĂšrement soit de façon plus espacĂ©e ou seulement Ă lâoccasion des fĂȘtes religieuses.
Lâartiste Adi Gliga, confiĂ© Ă lâĂąge de 5 ans Ă lâorphelinat explique dans sa biographie : « Le dimanche beaucoup de mes camarades recevaient la visite de leur mĂšre, la mienne nâest venue que 2 fois pour les fĂȘtes de PĂąques puis nâest plus jamais revenue. »

Les ONG, dans lâobjectif de rĂ©colter des fonds, communiquaient dans le mĂȘme sens. Ce que Rony Brauman appellera plus tard « l’humanitaire spectacle » [3] et oĂč, voulant faire le bien, il arrive que nous fassions aussi le mal….Des milliers d’Ă©trangers en mal d’enfants ou qui, sous le coup de l’Ă©motion veulent faire « une bonne action », se prĂ©cipitent alors par milliers dans cette Roumanie exsangue qui n’est pas organisĂ©e pour gĂ©rer un tel afflux de demandes, ni veiller Ă l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur des enfants.
Les devises tombent Ă la pelle ; une opportunitĂ© pour ce pays, oĂč rĂšgne la corruption. ParallĂšlement aux procĂ©dures officielles dâadoption, des rĂ©seaux dâadoptions privĂ©es se crĂ©ent Ă lâimproviste et se dĂ©veloppent rapidementâŠ
Lâaffaire est trĂšs juteuse et, pour certains, tous les procĂ©dĂ©s sont bons pour fournir « aux clients » les enfants qui rĂ©pondent Ă leurs critĂšres.
Lâadoption est un mot gĂ©nĂ©rique qui recouvre plein de rĂ©alitĂ©s diffĂ©rentes. Evoquer les dysfonctionnements prĂ©judiciables pour lâenfant nâenlĂšve rien au fait que lâadoption reste une rĂ©ponse naturelle et positive tant quâelle sâeffectue dans lâintĂ©rĂȘt de lâenfant.
En Roumanie les candidats Ă lâadoption ignoraient quâen rĂ©alitĂ© il y avait peu dâenfants rĂ©ellement abandonnĂ©s et donc adoptables Ă lâinternational.
Les mĂšres biologiques sont les grandes oubliĂ©es de l’adoption Internationale
La nĂ©gation de cette mĂšre par la pensĂ©e collective est en opposition avec les questions sans rĂ©ponses qui ne cessent de tourmenter lâadoptĂ© tout au long de son existence, et qui gĂ©nĂšrent une souffrance. Les adoptĂ©s roumains ont grandi avec une image nĂ©gative et honteuse de leur mĂšre, ce qui inĂ©vitablement crĂ©e une colĂšre refoulĂ©e et une mĂ©sestime de soi, alors quâil aurait peut-ĂȘtre suffit quâils sachent que la coupable Ă©tant avant tout une victime de la misĂšre et dâun contexte. »
Lady Emma Nicholson, parlementaire et rapporteur spĂ©cial pour le Parlement EuropĂ©en (1999-2004) : « En Roumanie, une importante traite dâenfants repose sur un partenariat entre agences dâadoption et officiels corrompus. Peu de ces enfants sont orphelins, certains sont volĂ©s et dâautres sont achetĂ©s. En un an Ă lâhĂŽpital de Ploiesti, infirmiĂšres et mĂ©decins avaient prĂ©tendus Ă 23 mĂšres que leurs bĂ©bĂ©s prĂ©maturĂ©s Ă©taient morts, alors quâils Ă©taient mis en couveuse, bien nourris et exportĂ©s 6 mois plus tard. Des jeunes filles vulnĂ©rables sont persuadĂ©es dâoffrir leur bĂ©bĂ© pour 450 euros cash et des enfants prĂ©- pubĂšres sont vendus via lâInternet pour 45.000 euros.»
En 1993, le gouvernement roumain vote une loi qui prĂ©voit que tout enfant nâayant pas reçu la visite des parents pendant 6 mois peut ĂȘtre dĂ©clarĂ© « abandonnĂ© » par le tribunal et devenir de ce fait adoptable. Les mĂšres nâayant gĂ©nĂ©ralement aucun moyen de locomotion, lâastuce consistait Ă dĂ©placer le bĂ©bĂ© dans un orphelinat situĂ© Ă plus de 50 kilomĂštres du lieu de naissance, et le tour Ă©tait joué⊠Certains orphelinats avaient trouvĂ© un moyen efficace pour prĂ©lever Ă la source les denrĂ©es les plus recherchĂ©es : des nouveau-nĂ©s disposant dâun « acte dâabandon ». Dans leurs locaux, ils faisaient aussi office de maternitĂ© oĂč les femmes pouvaient y accoucher gratuitement. Profitant de leur Ă©tat de faiblesse elles Ă©taient encouragĂ©es Ă abandonner leurs nouveau-nĂ©s.
IllettrĂ©es et craintives, il suffisait alors dâun mensonge ou dâune fausse promesse pour leur faire signer un papier sans quâelles comprennent quâil sâagissait dâun acte dâabandon (voir ci-dessous tĂ©moignage n°1).
Dans la culture Roumaine, il est dâusage dâoffrir un petit cadeau Ă celui qui a rendu service.
Pour un couple français, dans les annĂ©es 90, 1500 francs ne reprĂ©sentaient jamais que le budget dâun week-end au ski, mais pour la mĂšre roumaine en difficultĂ© câĂ©tait un trĂšs gros cadeau qui permettait dâamĂ©liorer lâordinaire de la famille pendant plusieurs mois, de faire soigner un fils aĂźnĂ© ou un parent malade ou dâacheter une charrette pour pouvoir aller vendre du bois Ă la ville, mais les adoptants ne voyaient pas tous les choses sous cet angle. Ces femmes rĂ©agissaient alors en rĂ©clamant de lâargent (voir ci-dessous tĂ©moignage n°2).
Ce qui venait conforter la pensée collective qui trop souvent encore perdure⊠« les roumaines font des enfants pour en tirer profit ou les vendre »
Rony Brauman, prĂ©sident de MSF de 1982 Ă 1994, directeur de recherches Ă la fondation MĂ©decins Sans FrontiĂšre. Professeur associĂ© Ă lâIEP, dĂ©clare : « Au dĂ©but des annĂ©es 90 : des familles en attente dâadoption se sont prĂ©cipitĂ©es en Roumanie aprĂšs la chute de Ceausescu pour y adopter des enfants placĂ©s dans des orphelinats, mais qui nâĂ©taient pas nĂ©cessairement des orphelins. CâĂ©tait un vĂ©ritable marchĂ© aux enfants, choisis par certains en fonction de lâĂąge, la taille la couleur des yeux. On a mĂȘme vu des parents ramener des enfants aprĂšs quelques semaines, parce que quelque chose nâallait pas. Il y avait en quelque sorte un dĂ©faut de fabrication. Ils rĂ©clamaient le service aprĂšs-vente. » [3]
Un couple dâitaliens a fait annuler par le tribunal roumain lâadoption du petit Mihai Claudiu, 6 ans, alors que cela faisait 2 ans quâil le considĂ©rait comme leur fils. Ceci parce quâil avait reçu une lettre du pĂšre biologique lui demandant 300$ en dĂ©dommagement de lâenfant quâil avait donnĂ©. Le pĂšre adoptif a dĂ©clarĂ© au tribunal : « Nous condamnons la vente dâenfants et ne voulons pas cautionner celle-ci ». Lâenfant est reparti en institution, abandonnĂ© une seconde fois.
Il y eut 10 cas dâenfants pour lesquels le tribunal avait validĂ© lâadoption alors que les parents nâavaient jamais signĂ© dâacte dâabandon et quâils se sont opposĂ©s fermement Ă ce quâon prenne leur enfant.
Le jugement Ă©tant rendu, les parents adoptifs ont pris un autre enfant quâils ont emmenĂ© dans leur pays sous lâidentitĂ© du 1er. Ceux Ă qui on a volĂ© lâidentitĂ© ont aujourdâhui une vingtaine dâannĂ©es. Câest le cas notamment du jeune Silviu Costea, mĂ©daillĂ© de boxe en Roumanie, qui est dans lâimpossibilitĂ© dâassister Ă des tournois Ă lâĂ©tranger faute de pouvoir fournir une carte dâidentitĂ© ! [5]Des disparitions d’enfants ont Ă©tĂ© signalĂ©es par des mĂšres aprĂšs la visite d’agences d’adoptions Ă qui elles avaient refus » de donner leur enfant. (Voir reportage [6]).
Dans la grande agitation de cette Ă©poque, une quantitĂ© de dossier dâadoption se sont perdus ou sont incomplets, ce qui empĂȘche toute traçabilitĂ©. Entre 1990 et 1997, le dĂ©compte des autoritĂ©s roumaines fait Ă©tat de 16000 adoptions alors que lâONU et les organisations spĂ©cialisĂ©es comme SERA Roumanie en ont dĂ©nombrĂ© pour cette mĂȘme pĂ©riode plus de 30000. Certains enfants auraient alimentĂ©s des rĂ©seaux criminels de prĂ©lĂšvement dâorganes et de prostitution.
Entre 1991 et 1999, une vingtaine dâenfants souffrant dâune malformation ont Ă©tĂ©s pris en charge par une association française afin de pouvoir bĂ©nĂ©ficier en France dâune opĂ©ration. Ces enfants se sont Ă©vaporĂ©s ! Les parents ne les ont plus revus.
En 2002, le ministĂšre de lâintĂ©rieur roumain a diligentĂ© une enquĂȘte dont les tenants et aboutissants nâont jamais Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©s.
Le 27 fĂ©vrier 2007, Gabriela Conan soumet ce cas devant une commission parlementaire qui lâenregistre et ne fait rien. Personne nâa Ă perdre de temps avec des histoires passĂ©es, concernant une poignĂ©e de Roms, qui plus est handicapĂ©s. [4]
ConfrontĂ©e Ă cet ensemble de dĂ©rives qui lui Ă©tait difficile Ă maĂźtriser, tandis quâen parallĂšle elle subissait les incessantes pressions diplomatiques des pays en demande dâenfants, la Roumanie a dĂ©cidĂ© en 2001 de fermer son pays Ă lâadoption internationale. Câest oublier quâil y a eu aussi de trĂšs belles histoires grĂące Ă dâadoption. Et si, plutĂŽt que de « jeter le bĂ©bĂ© avec lâeau du bain », le temps Ă©tait venu de tenir enfin compte de la parole des adoptĂ©s pour envisager une refonte globale du concept lâadoption ?
Dans la grande agitation de cette Ă©poque, une quantitĂ© de dossier dâadoption se sont perdus ou sont incomplets, ce qui empĂȘche toute traçabilitĂ©. Entre 1990 et 1997, le dĂ©compte des autoritĂ©s roumaines fait Ă©tat de 16000 adoptions alors que lâONU et les organisations spĂ©cialisĂ©es comme SERA Roumanie en ont dĂ©nombrĂ© pour cette mĂȘme pĂ©riode plus de 30000. Certains enfants auraient alimentĂ©s des rĂ©seaux criminels de prĂ©lĂšvement dâorganes et de prostitution.

Références
[2] Chiffres sur le nombre dâadoption en Roumanie en 1991 : http://www.carefrance.org/ressources/themas/1/754,CARE_20_ans_Roumanie.pdf
[3] Entretien rĂ©alisĂ© par Elisabeth LĂ©vy et Gil Mihaely de Rony Brauman, «Rony Brauman contre lâhumanitaire spectacle : Les responsables de lâArche de ZoĂ© sont les hĂ©ritiers maladroits et zĂ©lĂ©s de Kouchner » sur le blog de Causeur, PubliĂ© le 14 janvier 2008. http://www.causeur.fr/rony-brauman,153#
[4] Article « Enfants roumains évaporés en France », publié le 3/10/2007 http://www.parents.fr/Actualites/Enfants-roumains-evapores-en-France-7278
[5] Mirel Bran, Roumanie, ex-supermarchĂ© de l’adoption, LE MONDE, 20 octobre 2006 http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2006/10/20/roumanie-ex-supermarche-de-l-adoption_825807_3208.html[6] Search a Child, Pay Cash: The Adoption Lobby, un film documentaire de Golineh Atai (WDR, 2009) https://www.youtube.com/watch?v=y_Ebvs0HsEg
[7] Extraits de « Europe, lâUtopie et le Chaos » Catherine Durandin : Lâopinion fut amenĂ©e Ă confondre les images dâorphelins tristes et les photos difficilement supportables dâenfants maladesâŠ/âŠLe spectacle Ă lâaĂ©roport de Bucarest, pour les vols Ă destination des Etats-Unis ou de lâEurope Occidentale, des couples dâĂ©trangers portant leur nouveau bĂ©bĂ© ou jeune enfant dans les bras tel un trĂ©sor a pu irriter ou choquer les roumains prĂ©sents. Des roumains qui faisaient figure dâinsensibles ou dâincapables.
Exemple dâune agence demandant 12000$ http://www.afaener.org/depeche_020327a.html Autre cas de trafic : 54 enfants non adoptables se sont retrouvĂ©s adoptĂ©s en Israel. Marian Maierson a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© et condamnĂ© pour faux en Ă©criture et usage de faux, adoptions illĂ©gales.
http://www.afaener.org/depeche_020915c.html
Position de l’Unicef sur l’adoption :
http://www.unicef.org/french/media/media_41918.html
Convention de la Haye 29 Mai 1993
http://www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.text&cid=69