“Sois redevable, la chance t’a souri”

Mon prĂ©nom est Ruxandra, nĂ©e le 26 avril 1990 Ă  Pucioasa en Roumanie dans le dĂ©partement de DâmboviĹŁa. Voici mon identitĂ© de naissance que je dĂ©couvre 6 annĂ©es plus tard. J’ai Ă©tĂ© adoptĂ©e en septembre 1990 par des parents français, ma mère Ă©tait auxiliaire de puĂ©riculture et mon père travaillait dans les commandos marine en tant que militaire.
Ma mère adoptive avait Ă©tĂ© frappĂ©e par un cancer du sein, ses nombreux traitements de chimiothĂ©rapies l’on rendu stĂ©rile. Pour devenir parents, ils ont eu recours Ă  la PMA mais cela n’a pas marchĂ©, et après plusieurs essais, ils se sont tournĂ©s vers l’adoption.
De nombreuses annĂ©es s’enchaĂ®nent avec de entretiens psychologiques pour prouver qu’ils Ă©taient aptes Ă  accueillir et Ă  Ă©lever un enfant. Cela a Ă©tĂ© très Ă©prouvant pour eux. Après dix ans de dĂ©marche pour l’obtention d’un agrĂ©ment, mes futurs parents sont alors âgĂ©s de 40 et 41 ans. Ils avaient fait le choix d’adopter en AmĂ©rique Latine mais cela ne s’est pas concrĂ©tisĂ©, une autre proposition s’est faite pour la Roumanie.
                                                                       
@Ruxandra Ă  l’hopital pĂ©diatrique de Puciisa 1990
Une amie Ă  ma mère qui venait d’adopter une petite fille l’a mise en relation avec un avocat car en Roumanie l’adoption Ă©tait facile. Après 4 mois d’attente me voilĂ  arrivĂ©e en France, j’ai Ă©tĂ© hospitalisĂ©e un mois en pĂ©diatrie car j’Ă©tais dĂ©nutrie, puis je suis rentrĂ©e Ă  la maison. Je me souviens, maman ne disait Ă  personne que j’Ă©tais sa fille tant qu’elle n’était pas sĂ»re que j’Ă©tais tirĂ©e d’affaire tellement j’Ă©tais mal en point. Ils m’ont appelĂ© Claire et ont conservĂ© mes prĂ©noms roumains. Les 6 premières annĂ©es de ma vie ont Ă©tĂ© fantastiques, j’Ă©tais choyĂ©e comme une vraie petite princesse pourrie gâtĂ©e. Mon père a pris sa retraite Ă  44 ans car il avait accumulĂ© ses annĂ©es d’anciennetĂ© Ă  l’armĂ©e et se retrouva père au foyer. Ma mère a voulu continuer Ă  exercer sa profession. Un jour, pendant un repas du haut de mes 6 ans ils m’annoncent que j’ai Ă©tĂ© adoptĂ©e, et qu’ils prĂ©fĂ©raient me dire la vĂ©ritĂ© car tĂ´t ou tard tout ce sait et que je ne devais pas avoir honte d’être nĂ©e dans un pays très
pauvre qui avait Ă©tĂ© en guerre. Ils ajoutent : « sois fière d’ĂŞtre française car sans cela tu serais sĂ»rement morte. En Roumanie les mères laissaient les enfants seuls » J’Ă©tais dans un berceau digne d’une cage avec de l’eau de riz dans un biberon attachĂ© au lit, je nageais dans mes excrĂ©ments, alors dis-nous merci !!!
 @Ruxandra avec ses parents en France
Ces mots m’ont fait mal, comme si j’avais demandĂ© Ă  naĂ®tre et Ă  atterrir chez eux !!.
A ce moment-lĂ , dans ma tĂŞte d’enfant, je suis une Ă©ponge Ă  Ă©motions, et tout a basculĂ©. J’Ă©tais devenue curieuse de savoir Ă  quoi ressemblait ma mère biologique et pourquoi elle m’avait abandonnĂ©. Mon comportement avait changĂ©. Lors d’une dispute Ă  mes 7 ans, ma mère m’a dit « si tu n’es pas contente retourne dans ton pays ». J’ai fait une valise avec mon doudou, des gâteaux, du linge et, arrivĂ©e devant le portail je fonds en larmes et demande en sanglotant « c’est oĂą la Roumanie ? ».
Par la suite, mon Ă©chappatoire a Ă©tĂ© la musique et particulièrement le chant, j’ai Ă©tĂ© gâtĂ©e par la nature car j’ai une belle voix. A la moindre contrariĂ©tĂ© je m’enferme durant des heures dans ma chambre pour chanter en karaokĂ©, micro en main. C’est mon refuge, la musique m’Ă©vade et m’emmène loin. Au dĂ©but mon adolescence est difficile, mes parents ne me supportent plus et semblent impatients. Parfois, ils me disaient « on va appeler les assistants sociaux ». Je faisais juste une crise d’adolescence comme tous les ados !!
Étant une bonne Ă©lève et bien entourĂ©e amicalement, j’en ai eu marre de cette situation je leur ai demandĂ© d’aller en pension. J’atterris dans un pensionnat de filles chez des bonnes sĹ“urs. J’y passerai trois ans. Les plus belles annĂ©es de ma vie. Et un coup de foudre amical, liĂ©e Ă  jamais Ă  une dominicaine ce qui m’aide Ă  me confier sur ma vie, mon passĂ© mes questionnements. Un jour, elle me demande : d’oĂą tu viens ? qui tu es ? oĂą tu vas ?
Je lui rĂ©ponds simplement que je viens de Roumanie et que je sais que ma maman biologique est jeune, elle s’appelle Cristina. Ma quĂŞte d’origine commence. J’ai demandĂ© Ă  mes parents s’il serait possible de faire un voyage en Roumanie, car connaĂ®tre mes origines culturelles et voir oĂą je suis nĂ©e m’est important. Ils me rĂ©pondent « oui » et qu’ils loueraient un camping-car pour visiter le Pays. Mais nous n’y sommes jamais allĂ©s !!!!
Sur les conseils de la sĹ“ur Dominicaine j’ai lu « Merci tu ne sais pas la chance d’avoir Ă©tĂ© adoptĂ©e de Barbara Monestier » qui avait Ă©tĂ© une Ă©lève dans notre pension. J’ai pleurĂ© de la première Ă  la dernière plage tellement je me suis reconnue Ă  travers ses lignes et son histoire.
Mes parents avaient le mĂŞme discours « soit reconnaissante envers nous, tu es en France tu ne manques de rien!!! » J’avais cette envie de leur dire « j’ai pas demandĂ© Ă  ĂŞtre lĂ , j’ai comblĂ© votre manque, votre mal d’enfant !!! »
Après trois ans pensionnaire avec des amitiĂ©s tissĂ©es Ă  jamais et des moments inoubliables, je reviens chez moi oĂą je serai un an dans une Ă©cole privĂ©e et ensuite je commencerai mon parcours pour devenir esthĂ©ticienne, un mĂ©tier qui me plait. Je continue le chant et fais du théâtre. Et je connais mon premier amour, je suis bien avec lui et au bout de 4 mois je me suis tellement attachĂ©e que sans savoir pourquoi je le quitte. J’ai eu peur d’ĂŞtre abandonnĂ©e, les blessures du passĂ© reviennent, et avec des amitiĂ©s j’ai Ă©galement dĂ©fait des liens. J’ai toujours peur de l’abandon encore et toujours c’est plus fort que moi.
Ma mère tombe malade, l’ambiance est lourde Ă  la maison, je suis jeune et je veux continuer ma vie mĂŞme si je suis compatissante envers son Ă©tat de santĂ©. Je dĂ©cide d’ĂŞtre fille au pair aux États Unis. J’ai trouvĂ© une Famille, 2 semaines avant mon dĂ©part, je rencontre un homme qui deviendra mon mari. Coup de foudre assurĂ© et cette fois-ci je n’ai pas envie de dĂ©faire nos liens. Je quitte la maison et pars m’installer avec lui Ă  5 min de chez moi. Mes parents le vivent plutĂ´t mal. Au bout d’un an nous avons le dĂ©sir d’un enfant, et je tombe enceinte 1 mois après. Quelle chance de tomber enceinte si rapidement quand d’autres n’y arrivent pas ou mettent des annĂ©es, c’est le Bonheur total. Je vais ĂŞtre maman et j’ai toujours voulu l’ĂŞtre jeune. Je le veux avant mes 25 ans. Ma mère le prend avec aucune Ă©motion lorsque je lui annonce qu’elle va ĂŞtre mamie, Ă  l’inverse de mes beaux-parents sautent au plafond. Elle doit sĂ»rement se dire qu’elle chance moi je n’ai jamais rĂ©ussi et ma fille en un claquement de doigt elle porte la vie.
Maman est toujours malade, je m’occupe d’elle quotidiennement et ensuite arrive la naissance de mon fils. Ce fut le plus beau moment de toute ma vie. J’accouche et dans les premières minutes de vie de mon bĂ©bĂ© que je tiens dans mes bras je me dis comment peut-on abandonner son enfant moi je ne pourrai pas tellement je lui porte de l’amour c’est ma chair mon sang. Tout est dit je suis le premier maillon de la chaĂ®ne de ma descendance et en plus il me ressemble. Mes parents sont contents et me disent, qu’ils ont peur que je les abandonne car j’ai mon bĂ©bĂ©.
Leur blessure de ne pas avoir d’enfant biologique semble ĂŞtre omniprĂ©sente dans leurs esprits, mĂŞme si je les rassure en leur disant que c’est bien leur petit fils. Ils ont ce rĂ©flexe de me dire qu’ils sont ses grands parents adoptifs. Que puis-je faire Ă  cela ? Malheureusement pas grand-chose. Je passe mes journĂ©es avec mon bĂ©bĂ© et dĂ©cide de rester mère au foyer, deux ans après arrive mon deuxième garçon. Malheureusement maman dĂ©cède quand je suis enceinte. La perte la plus tragique que j’ai eu car mĂŞme si nous Ă©tions comme chien et chat c’est ma maman et on en a qu’une. Elle me manque terriblement, j’aurai Ă©tĂ© Ă  ses cĂ´tĂ©s jusqu’au bout.
Elle n’est plus lĂ  alors qu’ai-je Ă  perdre. Je ne pourrai pas lui faire de peine. Naviguant entre Google et Facebook je dĂ©couvre l’Afor et j’ai la chance de parler longuement avec Marion, je lis Ă©galement son livre qui me permets de savoir ce qu’Ă©tait la Roumanie sous la dictature et je comprends beaucoup de chose, je suis horrifiĂ©e par ce que je lis. Je viens rĂ©ellement de lĂ -bas ma mère m’a conçu sous le dicton « faites des enfants l’Ă©tat s’en chargera ». Je suis qui au juste la dedans ? une pauvre petite fille qui n’a rien demandĂ© !!! Et dĂ©sormais Ă©tant maman sans mère, bien que je n’en cherche pas une, je veux savoir. Cela fait partie de moi de mon identitĂ© de mon appartenance Ă  ce monde, c’est mon histoire et un jour mes enfants me questionneront. J’aimerai leur apporter des rĂ©ponses. Alors peu importe si les rĂ©ponses que j’attends sont mauvaises il me faut mon histoire.
Du haut de mes 30 ans je n’ose pas dire aux gens que je suis adoptĂ©e car j’ai des yeux de cocker en face de moi avec de la pitiĂ© mais ils ont raison c’est triste. Mais ce qui est le plus triste dans l’histoire c’est de ne pas savoir. Les annĂ©es passent et je le vois encore plus quand on est maman et je ne veux pas me rĂ©veiller trop tard. Entre temps j’ai fait un test ADN sur my heritage qui m’a rĂ©vĂ©lĂ© que j’Ă©tais moitiĂ© roumaine moitiĂ© indienne et mĂŞme un peu française, le comble, mais en gros je suis tzigane. Quel est le dĂ©but de ma vie, de quelle famille suis-je issue j’aimerai tant le savoir.
Mon adoption n’a pas Ă©tĂ© un Havre de paix j’ai souvent Ă©tait dans une sensation de vide, depuis que je suis maman j’ai retrouvĂ© la paix. Au moment de la question du 3eme enfant je me suis dit non en fait ce n’est pas un bĂ©bĂ© qu’il te faut, ta famille tu l’as.

 @Ruxandra avec sa maman adoptive

C’est la vĂ©ritĂ© sur ton histoire : repartir du dĂ©but, c’est Ă  dire du jour de ma naissance, et je pourrais avancer. J’ai longtemps pensĂ© pouvoir vivre sans savoir mais tĂ´t ou tard le passĂ© me rattrape. Le chemin de la plĂ©nitude c’est la vĂ©ritĂ©. Dieu sait que la Roumanie Ă©tait un ex supermarchĂ© de l’adoption, après la chute du dictateur beaucoup de femmes n’ont en fait mĂŞme pas abandonnĂ© leurs enfants mais les ont placĂ©s pour trouver une solution. Je ne suis peut-ĂŞtre pas abandonnĂ©e ? Cela changerait beaucoup de choses et attĂ©nuerait mes souffrances passĂ©es, les films que je me suis fait, et la vĂ©ritĂ© m’amènera sur le chemin de la sĂ©rĂ©nitĂ©. Alors pourquoi ne pas tenter ? Enfant je disais souvent Ă  mes parents je suis tourmentĂ©e. Mais cette tourmente vient de la peur car j’ai tellement entendu de choses nĂ©fastes sur la Roumanie, qui Ă©tait en guerre alors oui c’est vrai c’Ă©tait l’horreur mais oĂą est mon histoire ?
Je me suis rĂ©veillĂ©e, j’ai souvent fait un pas en avant et trois pas en arrière, je suis enfin prĂŞte pour le grand saut.
Clair C.
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