Elisabeth Blanchet : à droite, entourée d’enfants d’un orphelinat roumain en 1997, à gauche, « 20 ans après », regard camera © E. Blanchet (1)

Qui est Elisabeth Blanchet ?

Elisabeth Blanchet est une photographe, cinéaste, journaliste et artiste de médias mélangés basée à Londres.
A travers ses différents projets, elle explore les émotions, l’attachement, la mémoire et la nostalgie. Son appareil photo devient un véritable support ou comme un « passeport » pour aller à la rencontre de l’autre. Son objectif se promène partout où elle peut rencontrer les gens et documenter leurs conditions de vie, nous renseignant sur leur quotidien. Elle s’intéresse à tous types de communauté avec une grande curiosité. Elle se décrit notamment comme une artiste qui voit la beauté partout.

Ancienne professeur de mathématiques, elle aborde la vie en relevant les défis : «Each job is an open door to new adventures, encounters and life lessons». Chaque travail est une porte ouverte sur de nouvelles aventures, des rencontres et des leçons de vie ! écrit-elle sur son site Internet.

Et en effet, cette photographe «free-lance» aime les challenges puisqu’elle s’est attachée à travailler sur des projets aussi variés qu’enrichissants, allant de campagnes publicitaires (Channel 4, Just Giving) à des projets de documentaires de longue durée (tels que des projets en Roumanie, ou en Angleterre sur les Prefabs, ou encore des documentaires sur les communautés des Tziganes et des voyageurs), s’adaptant toujours à des environnements différents avec une grande facilité.

Elle entretient un relation privilégiée avec le médium de la photographie depuis sa petite enfance ; c’est bien à l’occasion d’un premier projet déterminant en Roumanie que va s’amorcer cette carrière.

Les orphelins de Ceausescu

Portrait extrait du reportage « Les enfants de Ceausescu » (2)

La fin des années 80 voit la chute du Rideau de fer, du Mur de Berlin et du couple Ceausescu. La machine médiatique s’infiltre en Roumanie jusqu’alors fermée aux caméras des journalistes étrangers, du charnier de Timisoara à la révolution. Entre manipulation et révolte, les retournements de situation et les détournements d’informations mettent au jour la triste réalité des enfants de la dictature communiste nataliste. Placés dans des centres d’accueil pour enfants, les “casa de copîi” (« maison pour enfants »), se transformèrent peu à peu en orphelinats. C’est avec effroi que l’Occident découvre dans les années 90 le sort réservé à ceux dont les familles ne pouvaient pas s’occuper. Le reportage de la RTBF tourné à Negru Voda, foyer pour mineurs déficients non récupérables fait scandale. Les images de Roger Beeckmans révèle les conditions de vie choquantes et inacceptables des jeunes pensionnaires témoignant du manque cruel de moyens, par exemple en terme d’effectifs : une dizaine de femmes seulement s’occupent de 220 enfants. Malheureusement, le cas dénoncé par le reportage n’est pas isolé, comme le découvre très vite le public occidental.

Negru Voda : « foyer pour mineurs déficients non récupérables » » (2)

Comme beaucoup, Elisabeth B. est profondément touchée par les images diffusées au début des années 90 par la télévision occidentale : « on découvrait que plusieurs centaines de milliers d’enfants survivaient dans des institutions éparpillées dans tout le pays : une situation choquante et le résultat de la politique ultra-nataliste que le dictateur roumain avait mise en place dans les années 70. »

Comment en-es tu venue à aller en Roumanie ?

« Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour ces enfants. Je ne pouvais pas imaginer que des enfants puissent avoir été traités de cette manière, pire que des animaux. C’est ainsi qu’avec des amis nous avons monté notre association « Action Orphelins ». Grâce à des relations que nous avions dans l’humanitaire, on nous a conseillé de venir en aide à un orphelinat particulièrement démuni près de Iasi, en Moldavie roumaine. »

Au nord est de la Roumanie, la « casa de copii » accueillait près de 200 enfants, âgés de 4 à 18 ans.

« En 1993, je me rendais pour la première fois en Roumanie […]. A cette époque-là, l’aide humanitaire était braquée sur l’ex-Yougoslavie où les guerres entre la Serbie, la Croatie et la Bosnie venaient d’éclater. Dans le monde de l’humanitaire, la Roumanie n’était plus une priorité. Pourtant, la situation avait à peine évolué en trois ans et il restait beaucoup à faire. Les orphelinats manquaient de tout et les abandons d’enfants continuaient. Entre 1993 et 2000, nous sommes allés dans le même orphelinat, à Popricani, une petite ville à 20 km de Iasi, dans le nord-est du pays. »

Qu’y faisais-tu ?

« Et c’est ainsi que nous avons commencé à venir en aide à l’orphelinat de Popricani et aux enfants qui y vivaient : nous avons notamment aménagé les dortoirs en chambres de 8 à 10 enfants, amené l’eau courante, formé des assistants sociaux pour qu’ils retrouvent les familles et les frères et sœurs des enfants… »

Comment es-tu devenue photographe ?

« Nous avions décidé de donner la priorité à cet établissement où les conditions de vie des enfants étaient particulièrement épouvantables. Nous avons rapidement établi un programme de parrainage des enfants de l’orphelinat par des familles françaises. L’idée du parrainage nous semblait la plus appropriée pour aider au mieux les enfants : chacun bénéficierait d’une attention personnelle et l’argent collecté serait destiné à l’ensemble de la communauté. Mais qui dit parrainage, dit photographie. Les familles françaises voulaient des photos de leurs filleuls. Alors j’ai photographié en réalisant surtout des portraits mais aussi en documentant leur environnement. »

Popricani 1993-2000, an orphanage in Romania © E. Blanchet (3)

« A l’époque, j’étais étudiante mais passionnée par la photo depuis l’enfance. Dans les années 90, nous étions toujours à l’ère de l’argentique. Je photographiais en noir et blanc, développais mes négatifs et réalisais mes tirages. Je n’étais cependant qu’une amateur et jamais je n’aurais imaginé que ces photos seraient un jour associées à un tel projet. […]
J’ai tissé des liens très serrés avec les enfants de l’orphelinat. »

Popricani 1993-2000, an orphanage in Romania © E. Blanchet (3)

Elisabeth retourne en Roumanie 3 à 4 fois par an entre 1993 et 2000. Au cours de ses déplacements elle photographie de nombreux enfants. Elle tisse progressivement un lien de confiance avec les jeunes pensionnaires parvenant ainsi à capter leur quotidien d’enfant. Loin des clichés à charge contre les institutions et la condition de vie miséreuse des jeunes, on découvre au contraire le portrait intime des enfants et adolescents. L’intention n’est pas de taire la dure réalité des orphelinats roumains, mais l’approche est toute autre : même si derrière ces photos, il y a une intention précise (présentation des enfants à leurs parrains et marraines). Ici, la présence du photographe s’efface pour laisser toute la place au modèle, pour qu’il puisse enfin s’exprimer, dans sa pudeur et son authenticité. On croise dans le travail de Elisabeth des enfants curieux et joueurs, recouvrant par là même, cette identité d’enfant. Ces portraits offrent enfin un visage digne à ces petites personnes, laissant leur image hors de toute réappropriation politique et médiatique. Mais plus que tout, Elisabeth offre là, sans le savoir, avec ces documents photographiques, la possibilité de procurer enfin une mémoire à ces enfants.

Popricani 1993-2000, an orphanage in Romania © E. Blanchet (3)

Comment s’est terminé ce projet ?

En septembre 2002 l’orphelinat a fermé sans véritable explication.

Elisabeth explique : « les services sociaux du district n’ont pas vraiment donné de raisons au personnel et aux enfants et jeunes, mais depuis la fin des années 90, le gouvernement roumain ferme petit à petit les institutions et, fortement encouragé par l’Union Européenne, favorise d’autres formes de prise en charge des enfants abandonnés comme le placement familial. »

L’association initialement créée n’existe plus aujourd’hui.

Comment en es-tu venue à retourner en Roumanie ?

« J’y suis retournée dès 2006 puis en 2008, 2009, 2010, 2011… En 2006 c’était pour faire un sujet pour un magazine anglais sur un Roumain qui voulait venir bosser en Grande-Bretagne, c’était un mois avant que la Roumanie entre dans l’Europe. J’ai tout de suite pensé à Radu, un ancien de la casa de copii de Popricani. Quand je l’ai revu, j’ai été très émue et j’ai tout de suite compris que je voulais aussi retrouver les autres anciens de Popricani. »

« A la veille de l’entrée de la Roumanie dans l’Union Européenne en décembre 2006, je me suis replongée dans mes archives roumaines : des centaines d’images d’enfants, la plupart en noir et blanc. Des photos oubliées mais des visages et des enfants à jamais gravés dans ma mémoire. »

« La question de savoir ce qu’ils étaient devenus m’est tout de suite venue à l’esprit. Je voulais les retrouver. Je suis donc partie à leur recherche, d’abord à Popricani, puis ailleurs en Roumanie et en Europe… »

Elle en a retrouvé plus de 30 dont elle a recueilli les histoires. Le plus souvent ils ont fondé une famille. Le résultat de ce long travail de recherche permet de réaliser comme une fresque photographique où s’entrecroise différents destins, prenant sa source dans une enfance en noir et blanc à Popricani. Elisabeth commente :

« Après plusieurs voyages, j’ai retrouvé près de 30 jeunes.

Daniel Hostic © E. Blanchet (3)

Parmi eux, Daniel, 28 ans qui vit toujours au village et est devenu – ironie du sort – homme à tout faire dans l’ex-orphelinat, […]

Liliana Condrea © E. Blanchet (3)

Liliana, 29 ans, mère de 3 enfants, mariée à un homme du village, […]

Ramona Gogu © E. Blanchet (3)

Ramona, 25 ans, qui vit avec son fils et son mari à Iasi dans une chambre minuscule qu’ils doivent partager avec 3 autres adultes, […]

B et A © E. Blanchet (3)

B et A, 25 ans, qui vivent en Suisse où elles sont baby-sitters chez des Kosovars… »

Elle construit un travail photographique en diptyque où sont accolés les portraits saisis dans les années 90 et ceux réalisés 20 ans après. Lorsque les personnes se présentent à l’objectif, on s’amuse à comparer le visage de l’enfant à celui de l’adulte. On découvre avec amusement parfois des expressions, des regards, des rictus, qui d’un coup d’œil nous interpellent : « Il (elle) n’a pas changé ! ». Et puis, cette réflexion, qui parfois peut faire sourire, peut également faire réfléchir, et voir que les enfants qu’ils ont été ne disparaissent jamais totalement ; Et parfois même, qu’il y a des choses qui se transmettent aux générations futures : dans le meilleur, comme dans le pire.

Document d’information sur l’exposition de Elisabeth Blanchet à la Galerie Rue de l’exposition à l’Institut Culturel Roumain en 2012 (4)

En 2012, l’Institut Culturel Roumain à Paris expose ses photographies : un pas immense pour elle, son travail étant enfin reconnu.

La même année, elle publie le livre “Les orphelins de Ceausescu 20 ans après / Ceausescu’s orphans 20 years on” (2012). L’objectif dans ce projet éditorial est de raconter l’histoire de ces personnes à travers leurs portraits d’enfants et puis d’adultes accompagnés de leurs témoignages.

Couverture de « Les orphelins de Ceausescu » (Ceausescu’s orphans) © E. Blanchet (5)

« Les jeunes que j’ai retrouvés ont tous été ravis de participer à ce projet [….]. Au-delà de leur participation, ils ont voulu en savoir plus sur ce qui était arrivé aux autres. Les discussions, les souvenirs autour des vieilles photos duraient parfois des heures. Le projet reconstruisait une sorte de pont et de lien entre eux, tout comme ce livre qui leur est dédié ». (« Les Orphelins de Ceausescu », Elisabeth Blanchet, avril 2012)

Concernant le film « L’enfant du diable » – Comment s’est déroulé ce projet et comment s’inscrit-il dans ton travail d’artiste utilisant plusieurs médias ?

Extrait du film « L’enfant du diable »

C’est à partir de l’exposition organisée à Paris en 2012, qu’une ancienne pensionnaire des orphelinats roumains adoptée par une famille française dans les années 80 sollicite la photographe, et lui confie son envie de témoigner de son histoire. Elisabeth Blanchet confie sur son blog, qu’elle avait toujours eu envie de faire un documentaire à propos des Orphelins de Ceausescu, connus petits et retrouvés par la suite. C’est avec enthousiasme que la photographe contacte une « troisième complice », comme elle l’explique sur son blog, réalisatrice et amie avec laquelle l’artiste avait déjà travaillé sur différents projets. La réalisatrice Ursulla Wernly Ferguy aimait l’idée de combiner les histoires de Marion en quête de son père biologique et de Elisabeth retournant chercher d’autres pensionnaires de l’orphelinat de Popricani qu’elle n’avait jusqu’alors pas encore retrouvé. Ainsi, elle explique que le film « L’enfant du Diable » lui a permis d’avancer dans son travail photographique aussi de réfléchir sur son travail.

U. Wernly Fergui., M. Le Roy Dagen et E. Blanchet à la projection du documentaire à la S.C.A.M. le 21 septembre 2015 © E. Blanchet (6)

Cette enquête qui débute à Bucarest et qui progresse au travers de la Transylvanie permet à Elisabeth de prendre conscience de la valeur d’archive qu’ont ses photos et cela avec la découverte plus intime du sujet de l’abandon et de la séparations d’enfants d’avec leur famille biologique dans la Roumanie de Ceausescu. En effet, dans le film documentaire, on suit le parcours de Marion qui est, à son tour, jeune maman et qui se questionne sur l’abandon. On découvre son histoire, et on apprend que cet abandon n’en n’était pas un.

Riche en émotion et en retrouvailles, cette aventure humaine donne l’occasion aussi à Elisabeth de retrouver son ancien acolyte Dan qui travaillait à l’orphelinat de Popricani, sous l’œil attentif de la réalisatrice.

Marion et Dan aux Archives Nationales à Bucarest © E. Blanchet (6)

De nouveaux projets avec les « Orphelins de Roumanie »

En décembre 2015, Elisabeth Blanchet a été élue membre d’honneur de l’Association Française Orphelins de Roumanie : un rôle qu’elle prend très à cœur. Elle envisage de construire avec l’association un projet autour de l’archive, et plus précisément autour de l’objet photographique.

En effet, celle-ci confie ses interrogations autour de ces documents auxquels les anciens orphelins attachent tant d’importance :

« Comment les photos d’archive des enfants pourraient-elles les aider dans leur quête d’identité, la recherche de parents biologiques ? Comment mettre mon archive au « service » de jeunes Roumains en quête de souvenirs ? Comment élargir cette archive ? ».

L’artiste, loin d’être étrangère à la notion d’archive, l’aborde notamment dans son projet des Prefabs. Les préfabriqués sont des maisons provisoires bâties au lendemain de de la Seconde Guerre Mondiale en Grande-Bretagne pour répondre au problème de relogement des sinistrés et des soldats et leurs familles. Ces logements standardisés très bien conçus et reçus par la population sont rapides à construire (entre quelques heures et quelques jours) représentent une réponse moderne et économique à la crise du logement. Le gouvernement en construit plus de 156000. Cependant, ce mode de construction n’envisage pas une durée de vie supérieure à 10 ans. De ce fait, ils disparaissent peu à peu du paysage, voyant là, s’éteindre avec eux toute une culture et un mode de vie. N’en restant qu’à peine deux cents à Londres, Elisabeth Blanchet s’est chargée d’effectuer un véritable travail de documentaliste en créant en 2014 un musée temporaire dans un préfabriqué, the Prefab Museum, un musée qui continue aujourd’hui à se développer en ligne.

M.L.R.D. & L.G.

Iconographie :

(1) Présentation en dyptique de deux photos de Elisabeth Blanchet extraites de :

-son site officiel : http://www.elisabethblanchet.com/

-l’article Retour en Roumanie, publié le 12 octobre 2011 par Philippe Bonnet :

http://www.lessoireesdeparis.com/2011/10/12/retour-en-roumanie/

(2) « Les enfants de Ceausescu » reportage réalisé par Roger Beeckmans pour l’émission diffusé sur la RTBF « Le chemin des écoliers : Negru Voda Roumanie 1990 » le 15-09-90 accessible sur :

http://www.sonuma.be/archive/les-enfants-de-ceausescu

(3) et (6) Photographies extraites du site officiel de E. Blanchet :

http://www.elisabethblanchet.com/

(4) Document d’information sur l’exposition de E. Blanchet extrait de l’article sur le Mag, magazine, 1 avril 2012, « Elisabeth Blanchet expose : Les orphelins de Ceaucescu, 20 ans après » :

http://www.mamansalondres.com/2012/04/les-orphelins-de-ceaucescu-20-ans-apres/

(5) Ouvrage « Les orphelins de Ceausescu 20 ans après » :

http://www.blurb.fr/books/3134054-les-orphelins-de-ceausescu-20-ans-apr-s-ceausescu

Sources :