Interview : Alina Cicani rĂ©alisatrice d’origine roumaine

Alina Cicani est rĂ©alisatrice du documentaire “Roumanie d’une dictature Ă  l’autre ?”, coproduit avec « Les Films de l’Instant – Public Senat- CNC et sera diffusĂ©e sur la chaĂźne LCP Public SĂ©nat le 7 dĂ©cembre prochain Ă  21 h suivi d’un dĂ©bat. Ce documentaire est une enquĂȘte historique de 52 minutes sur les traces laissĂ©es en Roumanie par les annĂ©es de dictature communiste et la rĂ©volution qui y mit fin en dĂ©cembre 1989. « En 2019, la Roumanie prend le devant de la scĂšne internationale. Elle occupe la prĂ©sidence tournante de l’Union EuropĂ©enne et cĂ©lĂšbre les 30 ans de sa rĂ©volution. Trente ans auront Ă©tĂ© nĂ©cessaires pour passer d’une dictature sanglante Ă  une forme de dĂ©mocratie. Cependant, la pĂ©riode Ceausescu n’est aujourd’hui pas totalement rĂ©volue pour le peuple roumain. Sous le vernis dĂ©mocratique apparaissent parfois des mĂ©canismes de contrĂŽle qui rouvrent des blessures issues du passĂ©. ».

Qui est Alina ?

Alina CICANI est une fille qui a fui son pays d’origine, 10 ans aprùs la chute du communisme.

                             @alina cicani

Je suis nĂ©e EN 1977 Ă  Bucarest, en Roumanie. A la chute des Ceaușescu j’étais suffisamment grande pour me rappeler de cette pĂ©riode et suffisamment petite pour me reconstruire autrement que par l’endoctrinement. Je suis une grande admiratrice de la langue française et j’ai fait mes Ă©tudes en classes bilingues français-roumain. AprĂšs le bac, j’ai intĂ©grĂ© la FiliĂšre Francophone de l’UniversitĂ© Polytechnique de Bucarest oĂč je faisais mes Ă©tudes en gĂ©nie chimique. C’est sur la scĂšne de l’Institut Français de Bucarest, Salle Elvira Popesco que j’ai fait mes dĂ©buts en tant qu’actrice. Durant mes Ă©tudes, j’ai Ă©tĂ© embauchĂ©e par l’Agence Universitaire de la Francophonie (1) et j ’étais en charge de promouvoir la francophonie auprĂšs des Ă©lĂšves ingĂ©nieurs. J’ai crĂ©Ă© une troupe de thĂ©Ăątre, et un ami, Theodor Paleolog, metteur en scĂšne de la troupe, m’a proposĂ© le premier rĂŽle dans le Petit Prince d’Antoine de Saint-ExupĂ©ry. C’était une adaptation trĂšs originale, il m’a poussĂ© Ă  monter sur scĂšne, et bien qu’étant une jeune femme de 22 ans ce fut un pari rĂ©ussi pour tout le monde. Par la suite je suis partie continuer mes Ă©tudes en France : un DEA en Ressources Renouvelables et un doctorat en Agroalimentaire. A la fin de mon Doctorat j’ai passĂ© le concours de la Classe Libre du Cours Florent que j’ai rĂ©ussi (plus de 2000 candidats pour 20 places). Mais je n’ai pas pu aller jusqu’au bout car Ă  l’époque la Roumanie n’était pas dans l’UE et il me fallait une carte de sĂ©jour pour pouvoir continuer Ă  vivre. J’ai laissĂ© tomber la derniĂšre annĂ©e de Classe Libre pour me faire embaucher dans une grande entreprise agroalimentaire. Mais en parallĂšle j’ai continuĂ© en tant que metteur en scĂšne (« Couple Ouvert Ă  Deux Battants » de Dario FO, au Festival Avignon Off) ou comme actrice (« BOA VIDA » de Nathalie Maia, ThĂ©Ăątre Clavel). Fin 2013 j’ai fini mon premier documentaire sur les souvenirs de la RĂ©volution Roumaine « L’enfant de la rĂ©volution » (Festival PointDoc 2014). En 2016 j’ai rĂ©alisĂ© mon premier court mĂ©trage de fiction, qui parle de la difficultĂ© de devenir mĂšre, « Histoire d’un papillon » qui Ă  ma grande surprise a eu beaucoup de succĂšs dans les festivals. Il a fait d’ailleurs le tour des Etats Unis, alors que moi-mĂȘme je ne suis jamais allĂ©e. En 2017, j’ai dĂ©cidĂ© de laisser tomber mon travail et me consacrer totalement Ă  l’audiovisuel. J’ai pris de cours en production audiovisuelle et j’ai commencĂ© Ă  faire des rencontres. C’est par un directeur de production avec qui j’ai travaillĂ© pendant mon stage que j’ai rencontrĂ© mes producteurs actuels. Et ainsi l’aventure a commencĂ©.

Comment est nĂ© le projet : Roumanie d’une dictature Ă  l’autre ?

A la base je voulais faire une sĂ©rie documentaire sur les grandes personnalitĂ©s roumaines qui ont vĂ©cu sous le communisme. J’avais contactĂ© Valdimir Cosma (2) , qui Ă©tait d’accord si dans la sĂ©rie je mettais en avant d’autres grandes personnalitĂ©s. Je cherchais savoir qui je pourrais mettre en avant et un jour j’ai eu l’idĂ©e de contacter Medeea Marinescu, l’actrice qu’ici en France est trĂšs connue pour son rĂŽle dans « Je vous trouve trĂšs beau » d’Isabelle Mergault (3).

             @alina cicani

Elle m’a rĂ©pondu de suite, c’était incroyable. Elle m’a donnĂ© plain de contacts et son enthousiasme m’a donnĂ© des ailes. Par la suite le projet a Ă©tĂ© changĂ© et j’ai Ă©crit un unitaire sur la Roumanie dĂ©diĂ© aux Ă©lections europĂ©ennes en mettant en avant des personnalitĂ©s roumaines qui ont marquĂ©es la culture française. En parallĂšle, il se trouve que la chaĂźne Public SĂ©nat cherchait un sujet sur la Roumanie mais sur la chute des Ceaușescu. Alors ma productrice Anne Percie du Sert (les Films de l’Instant) m’a demandĂ© si c’était possible d’adapter le projet que j’avais Ă©crit. J’ai rĂ©pondu non car j’avais compris que Public SĂ©nat cherchait plus un sujet sur la RĂ©volution de 1989 que sur les personnalitĂ©s culturelles roumaines. En m’inspirant du livre « La chute des Ceaușescu » de Catherine Durandin que j’avais dans ma bibliothĂšque, j’ai Ă©crit rapidement un rĂ©sumĂ© qui est devenu par la suite un film. Par la suite, ma collaboration avec Medeea Marinescu s’est concrĂ©tisĂ©e puisque j’ai rĂ©ussi Ă  la faire participer Ă  ce projet. Elle nous parle d’ailleurs avec beaucoup de tendresse de sa vie d’enfant sous le communisme et elle s’insurge contre les Ă©vĂ©nements de 10 aoĂ»t 2018. Ce fut un vrai plaisir de travailler avec elle et j’espĂšre pouvoir continuer Ă  collaborer avec.

Comment as-tu préparé ce projet de documentaire ?

A la base le film s’appelait «Dernier Noel d’un Dictateur» et c’était un film plutĂŽt historique avec beaucoup d’archives. Au moment oĂč j’écrivais le film il y a eu le 10 aout 2018 en Roumanie. A cette date la population roumaine accompagnĂ©e par la diaspora revenue au pays pour les vacances proteste dans la rue contre les mesures abusives prises par le gouvernement en place. La rĂ©pression est rapide et efficace. 450 blessĂ©s. Comme j’étais en train d’étudier les mĂ©thodes de rĂ©pression sous Ceaușescu, il y a eu un dĂ©clic. Car entre le 10 aoĂ»t 2018 et la rĂ©pression pendant la pĂ©riode communiste il y avait de ressemblances flagrantes.  Par la suite j’ai rencontrĂ© Catherine Durandin, l’historienne et une grande spĂ©cialiste de la Roumanie et connaissant trĂšs bien la pĂ©riode communiste. Elle m’a ouvert la porte de sa maison, son carnet d’adresses, sa bibliothĂšque, elle est devenue une amie au fil du temps. Je ne pourrais jamais assez lui remercier pour tout ce qu’elle apportĂ© Ă  ce film. C’est grĂące Ă  elle que j’ai rencontrĂ© ClĂ©mence Valin (4) et Marius Oprea (5), deux historiens experts dans leurs domaines. ClĂ©mence Valin a vĂ©cu 4 ans en Roumanie car elle faisait une thĂšse sur les enfants de rue, elle est notre experte dans la politique nataliste complĂštement folle de Ceausescu qui a marquĂ© Ă  jamais certains destins.  Dans le film j’accorde une place tout particuliĂšre aux enfances nĂ©s pendant le rĂ©gime de Ceausescu car moi-mĂȘme j’étais enfant Ă  cette Ă©poque. Je l’ai fait car je trouve que nous ne parlons peu des dĂ©gĂąts de cette politique nataliste poussĂ©e Ă  l’extrĂȘme et de ces consĂ©quences Ă  long terme sur des gĂ©nĂ©rations roumaines. Le trauma de l’endoctrinement n’a pas Ă©tĂ© assez Ă©tudiĂ©.

Au-delĂ  de parler de la corruption et de ce rĂ©seau mafieux qui s’est mis en place au fil du temps, je cherchais Ă  ne pas tomber dans les clichĂ©s. Je voulais montrer les roumains sous un autre angle. C’est mon grande amie Cristina Selaru, qui m’a parlĂ© du projet de Carmen Uscatu et Oana Gheorgiu (6) que j’ai contactĂ© immĂ©diatement.

@alina cicani

Ces deux entrepreneuses se sont engagĂ©es dans un combat avec l’état roumain : construire un hĂŽpital performant pour les enfants atteints d’un cancer uniquement de dons de particuliers et des entreprises. Aucun argent de provient de l’Etat roumain. C’est un dĂ©fi hors normes qui les fragilise au quotidien car les gouvernements qui se succĂšdent n’ont aucune envie que ce projet puisse vraiment marcher. Cela voudrait dire que les roumains peuvent subvenir Ă  leurs besoins sans l’Etat. Les filles m’ont rĂ©pondu OUI de suite. Elles m’ont aiguillĂ©e et aidĂ© Ă  trouver l’économiste Iancu Guda, qui fait des interventions courtes mais extrĂȘmement marquantes sur l’économie roumaine d’hier et d’aujourd’hui. Au fur et Ă  mesure du tournage, Carmen et Oana, sont devenues les principaux personnages du documentaire.

J’avais Ă©galement fait une rencontre quelques annĂ©es auparavant avec un homme extraordinaire. C’est le torrĂ©facteur Gheorghe Florescu. C’est un ancien dĂ©tenu politique enfermĂ© pendant le communisme qui a Ă©crit un livre fabuleux «Les confessions d’un torrĂ©facteur »(7). Dans ce livre il dĂ©crit de maniĂšre vivante ce rĂ©seau mafieux qui s’est mis en place durant le communisme et comment les choses marchait dans le domaine alimentaire. En effet Gheorghe Florescu a Ă©tĂ© le torrĂ©facteur attitrĂ© de Nicolae et Elena Ceausescu donc il savait beaucoup d’histoires folles dingues sur les gens qu’ils les entouraient. A la base je voulais faire un documentaire sur lui, mais le projet n’a pas abouti.

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 @florelmanu

C’est un personnage clĂ© dans le film puisque c’est le seul qui a Ă©tĂ© enfermĂ© et qu’il a survĂ©cu Ă  cet enfermement. Aujourd’hui c’est le torrĂ©facteur le plus connu de Roumanie. Quand je vais chez lui, je me sens Ă  la maison.

Pourquoi ce titre ?

Le titre est venu plus tard. Au fur et Ă  mesure du travail de montage nous nous sommes rendus compte que ce que nous sommes en train de montrer qu’en Roumanie la vĂ©ritable dĂ©mocratie a du mal Ă  s’installer. Ce rĂ©seau qui a pris racines durant le communisme en Roumanie, qui perpĂ©tue la corruption et gangrĂšne le pays continue Ă  agir mĂȘme aujourd’hui. Alors mes producteurs m’ont proposĂ© « Roumanie, d’une dictature Ă  l’autre ?   » Je n’ai pas voulu au dĂ©part, je trouvais le titre trop fort. Mais au fur et Ă  mesure du temps je me suis rendue compte que moi, j’avais du mal Ă  assumer un tel titre. J’avais peur. Cette peur nous a Ă©tĂ© inoculĂ©e dans la tĂȘte durant le communisme et c’est difficile parfois de s’en dĂ©faire. C’est grĂące aux rencontres que j’ai fait pendant le tournage de ce film avec de gens engagĂ©s, que j’ai pu assumer moi-mĂȘme le titre.

Comment as-tu préparé le tournage du documentaire ?

Au dĂ©part je devrais faire qu’une semaine de tournage en Roumanie. Nous sommes allĂ©s en janvier 2019 et avons commencĂ© le montage en mars 2019. Et pendant le montage arrive la grĂšve du 15 mars 2019. Un entrepreneur roumain, Stefan Mandachi (8), du Nord de la Roumanie, a fait un appel Ă  grĂšve pour attirer l’attention aux autoritĂ©s quant au manque d’autoroutes dans le pays. Nous avons suivi cette grĂšve avec beaucoup d’intĂ©rĂȘt et mĂȘme, moi j’ai arrĂȘtĂ© le montage du film pour 15 minutes en signe de soutien. Pour marquer les esprits, Stefan avait fait un film de 5 minutes qu’il postĂ© sur internet qui est devenu viral. L’ampleur du mouvement nous a marquĂ© et j’ai dĂ©cidĂ© d’intĂ©grer cet Ă©vĂ©nement dans mon documentaire. Nous avons demandĂ© l’autorisation Ă  Stefan d’utiliser son film et la grĂšve de 15 mars, pour les intĂ©grer dans le film.

@alina cicani

En avril-mai 2019 lors des visionnages intermĂ©diaires, mes producteurs sont littĂ©ralement tombĂ©s amoureux de la dĂ©marche de Stefan. Ils m’ont demandĂ© d’aller le voir, le faire parler, je ne voyais pas l’intĂ©rĂȘt puisque j’avais des images suffisantes Ă  mon goĂ»t pour parler de cette grĂšve. Et puis, cet entrepreneur sortait un peu de nulle part, personne ne savait qu’il Ă©tait vraiment. Les informations sur internet Ă©taient un peu contradictoires, pas trĂšs viables et j’avais peur que le personnage qu’il s’était crĂ©Ă© tout seul ne soit dĂ©cevant une fois qu’on racontait la personne. Mes producteurs ont insistĂ©, ils m’ont quasi montĂ© de force dans l’avion vers Suceava. Et aujourd’hui je leur remercie. J’ai dĂ©couvert sur place un homme qui est convaincu qu’un « petit pas de fourmi peut changer un monde ». C’est quelqu’un qui ne veut pas faire de politique mais qui veut juste dĂ©velopper son business dans les meilleures conditions. Or ce n’est pas possible aujourd’hui en Roumanie, car malgrĂ© tous les fonds qui sont allouĂ©s Ă  l’infrastructure, les autoroutes ne sont pas construites. Le gouvernement passe son temps Ă  faire de faux chantiers qui aprĂšs que les tĂ©lĂ©s passent pour prendre des images, les chantiers sont abandonnĂ©s, et l’argent se volatilise.

Stefan Mandachi nous a ouvert en plus, les portes de la maison de ses grands-parents, ce qui est absolument inĂ©dit. C’est la premiĂšre fois qu’il montrait les outillages de son grand pĂšre qui Ă©tait une sorte d’entrepreneur sous le communisme.

Et puisque je partais voir Stefan et que le film avait vraiment changĂ©, il n’était plus inscrit dans le passe mais dans le prĂ©sent, nous avons profitĂ© pour rencontrer Mihai Demetriade, historien aux Archives de la Securitate.

@alina cicani

Mihai est un historien engagĂ©, qui avec beaucoup de professionnalisme parle des sujets extrĂȘmement controversĂ©s comme la corruption sous Ceaușescu, le trafic d’enfants et de marchandise, etc
, Mihai Demetriade se bat avec des collĂšgues pour rĂ©cupĂ©rer la totalitĂ© des archives de la police secrĂšte roumaine. Il faut savoir que les Archives de la Securitate ne se sont pas complĂštes aujourd’hui, certains dossiers ne sont pas publics alors qu’ils devraient l’ĂȘtre. Pour pouvoir obtenir que la totalitĂ© des archives soient publiques, ils ont dĂ» Ă©crire au PrĂ©sident de la Roumanie une lettre ouverte. Ce n’est pas chose facile dans un pays ou, dĂšs que tu rĂ©clame haut et fort justice on te met des bĂątons dans les rues pour te faire taire. C’est cette force de vouloir se battre contre un systĂšme que j’admire chez Mihai Demetriade, Stefan Mandachi, Oana Gheorgiu et Carmen UScatu. Les voir dire haut et fort ce qu’ils en pensent, me donne le courage d’assumer ce film.

Tu es allée aux archives de la sécuritate à Bucarest, peux-tu nous en parler ?

PĂ©nĂ©trer dans le grand hall des archives de la Securitate Ă  Popesti Leordeni a Ă©tĂ© pour moi l’expĂ©rience la plus marquante. On y retrouve 26km d’archives, de dossiers, de vies brisĂ©es. J’avais demandĂ© Ă  la base une autorisation pour filmer de plans larges et on m’a proposĂ© de filmer de prĂšs certains dossiers chose qui n’est pas courante. Je suis donc une de premiĂšres rĂ©alisatrices Ă  approcher d’aussi prĂšs ces documents. Bien Ă©videmment ce ne sont pas non plus de documents trĂšs importants mais ils nous nous permettent de comprendre l’absurditĂ© du systĂšme. Nous avons eu une matinĂ©e pour filmer, et je me rappellerai toute ma vie tellement ce fut intense. Voir jusqu’à quel point on va dans l’intimitĂ© de gens ça m’a bouleversĂ©. Et je me rappelle d’un meuble dans lequel il y avait de cartes postales interceptĂ©s de l’étranger. Ma maman recevait des cartes de ses amis Ă  l’époque et ça m’a fait directement Ă©cho Ă  ma vie. « Cela se trouve des copies de cartes postales e ma maman se trouvait dans ce meuble 
Parfois il ne vaut mieux pas savoir »

Penses-tu que les roumains rejettent encore la faute à la période communiste ? ont-ils encore des peurs ?

Je vais citer Carmen Uscatu qui dit «la peur est toujours prĂ©sente ». Oui, je confirme les roumains ont peur. L’exercice dĂ©mocratique de demander leurs droits ou aller manifester dans la rue est quelque chose de nouveau pour eux. C’est un peuple qui a Ă©tĂ© rĂ©primĂ©, au moindre geste de contestation, mĂȘme aprĂšs la chute de Ceaușescu. En apparence ils ont le droit d’ĂȘtre revendicatifs. Mais ces gestes osĂ©s, ont un prix. Car si tu as besoin un jour d’une autorisation quelconque, tu seras surpris du temps qu’on va mettre pour te rĂ©pondre et de la lourdeur subite de la dĂ©marche, ou bien de contrĂŽles systĂ©matiques qui peuvent ĂȘtre mis subitement en place. Ce n’est pas quelque chose de trĂšs visible, c’est ça qui est perfide.

Certaines voix se lĂšvent pour dire que c’est la faute du communisme. Mais en rĂ©alitĂ© ce n’est plus possible 30 ans aprĂšs la chute. Les excuses peuvent ĂȘtre multiples. Mais en rĂ©alitĂ©, c’est la peur qui empĂȘche l’évolution de la sociĂ©tĂ©.

Moi je place beaucoup d’espoir dans ce pays. Je vois les nouvelles gĂ©nĂ©rations se lever, lutter contre les mauvaises habitudes, et vouloir faire de leur pays un monde meilleur. Avec de gens comme Carmen, Oana, Stefan, Mihai, et d’autres comme Marius Manole et Tudor Chirilă dans le secteur artistique, Cristi DănileĆŁ dans le secteur juridique, je suis certaine que les mentalitĂ©s vont Ă©voluer. D’ailleurs Stefan Mandachi, Cristi DănileĆŁ et Chirilă militent pour un meilleur systĂšme Ă©ducationnel.

 Que reprĂ©sente « Roumanie d’une dictature Ă  l’autre » dans ton parcours ? Qu’est-ce que ce documentaire a changĂ© pour toi ?

Pour moi ce film a changĂ© Ă  jamais ma vie dans tout point de vue. Il y a une Alina avant ce projet et une autre Alina aprĂšs. Ce projet m’a aidĂ© Ă  assumer mes peurs : ma peur de dire ce que je pense, ma peur de ne pas plaire si je suis trop vocale, ma peur de ne pas ĂȘtre parfaite et de faire des erreurs, ma peur de ne pas ĂȘtre comme les autres, tels que le communisme m’avait formĂ©. Sous le communisme il fallait ĂȘtre parfait en tout point de vue, tu n’avais pas le droit Ă  l’erreur et tu ne faisais pas ce que tu voulais. Dans mon cas c’est ma maman qui a choisi mon mĂ©tier d’ingĂ©nieur. C’était comme ça. Et probablement que c’est de lĂ  que mon dĂ©sir de me reconstruire autrement dans un autre pays est arrivĂ©. Pour faire ce projet j’ai arrĂȘtĂ© mon mĂ©tier d’avant (je travaillais dans une grande entreprise comme experte en nutrition et rĂ©glementation europĂ©enne), j’ai repris l’école et je me suis lancĂ©e dans cette aventure. J’ai aujourd’hui un rituel le matin quand je me lĂšve. Je regarde sur les rĂ©seaux sociaux si Carmen & Oana, Stefan et Mihai continuent Ă  se battre. Carmen & Oana vont construire un deuxiĂšme hĂŽpital, Stefan Mandachi fait un documentaire sur l’impact sur les roumains du manque d’autoroutes. Mihai Demetriade a rĂ©ussi Ă  rapatrier de l’étranger certaines archives. 

Donc si eux continuent, moi je me dois d’assumer ce que je pense vraiment et l’exprimer. Cela a changĂ© ma vie.

Est-ce qu’il va ĂȘtre projetĂ© en Roumanie si oui, quelles sont tes attentes vis-Ă -vis du public roumain ?

Nous sommes en train de nĂ©gocier des sĂ©ances dĂ©bats en Roumanie avec l’Institut Français de Bucarest et non seulement. Je ne sais pas Ă  quoi m’attendre sur place. J’espĂšre juste ne pas me faire « huer ». Les roumains qui ont pu voir le film ont beaucoup apprĂ©ciĂ©, mais j’avoue que je ne dors pas tranquille quand je pense que je dois aller le prĂ©senter sur place.

Quels sont les projets sur lesquels tu travailles aujourd’hui et ceux que tu aimerais rĂ©aliser Ă  l’avenir ?

Je commence Ă  travailler sur un documentaire unitaire sur la situation des enfants de rue en Europe en partant comme exemple de la politique nataliste de Ceausescu. C’est un sujet plus complexe, oĂč j’ai besoin de beaucoup d’aide pour pouvoir faire les recherches nĂ©cessaires.

                                       @alina cicani

J’aimerais ensuite continuer sur la fiction. Le fait de travailler en documentaire vous donne la possibilitĂ© de rencontrer de gens extraordinaires et d’avoir accĂšs Ă  des histoires hors du commun. J’aimerais un jour faire de la publicitĂ© aussi, je trouve que c’est un exercice extraordinaire. Raconter une histoire en moins d’une minute, ce n’est pas chose facile.  Un jour je ferai aussi une comĂ©die musicale, ça se serait le summum.

Ce que je souhaite le plus est de pouvoir continuer ce mĂ©tier, ne jamais m’arrĂȘter, me laisser la chance de vivre de ces histoires que j’adore raconter.

 

 

  1. anciennement AUPELF UREF
  2. Compositeur, chef d’orchestre et violoniste roumain (1940, Bucarest) https://www.francemusique.fr/personne/vladimir-cosma
  3. Bande annonce, je vous trouve trĂšs beau http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18405034&cfilm=59132.html
  4. Résumé de la thÚse de Clémence Valin : « Comment ils sont devenus invisibles : les enfants des rues de Bucarest dans la transition post-communiste »  http://www.theses.fr/2018USPCC140
  5. Article de Marius Oprea https://www.lemonde.fr/europe/article/2006/07/20/marius-oprea-le-traqueur-obstine-de-la-securitate_797166_3214.html
  6. https://old.daruiesteviata.ro/fr/qui-sommes-nous-qui-nous-sommes-ce-que-nous-faisons-et-pourquoi-nous-le-faisons/
  7. http://www.humanitas.ro/gheorghe-florescu
  8. le blog de Stefan Mandachi  https://www.stefanmandachi.ro/

 

 

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